À MOMENTS PERDUS 2020-01-02


1
Le commencement est toujours un problème, surtout pour quelqu'un qui veut lire ou écrire une nouvelle érotique. Où commence la fiction et où finit la réalité ? Peut-on rire de tout ? Les questions habituelles se mélangent, mais pas toujours aussi harmonieusement que les corps.
Je n'ai pas eu envie de suivre l'atelier d'écriture sur les techniques de narration. Je croyais que si j'avais une histoire à raconter je saurais quel point de vue adopter. Et comment créer le suspense. Orgasme de la révélation, épiphanie, ange Gabrielle (elle est noire). Je ne sais pas si je dois tout vous dire. Avons-nous les mêmes références ? Forcément ce n’est pas tout à fait la même expérience. Si j'ai une personnalité multiple est-ce que j'ai des orgasmes multiples ? Et quand je dis caravane, voyez-vous des chameaux/dromadaires, ou bien la petite roulotte qui suit la voiture pour le départ en vacances? Problème de communication. Des sens multiples.
Entropie … Einstein estima que la constante cosmologique était sa grande erreur, scientifiquement parlant. Il a dû faire aussi d'autres mauvais choix, mais qui n'en fait pas ? Stephen Hawkins a essayé de nous expliquer l'histoire de l'univers, du temps, de la matière. J’ai retenu l'entropie, qui veut dire que le désordre croit de manière constante. C’est le cas dans ma cuisine et dans ma chambre.
Plus généralement il y a des cas pour lesquels les particules s'organisent inhabituellement, ce qui éveille notre curiosité. Il se crée comme une vibration, qui peut être décrite comme une onde. Regardez la mer. Vous y verrez des houles. Embarquez, vous découvrirez la théorie des drisses, car il n'y a pas de cordes sur un bateau, sauf celle de la cloche, ce qui prouve que de par la nécessité d'être précis dans la description, notre langage et notre perception changent, s'adaptent, coulent en cas de tempête, sans parler de tangage, dérive, échouage. C’est le lot commun de tout navire. Le bateau de l'humanité est-il une Nef des fous ?

Immanence ou transcendance
L’efflorescence m’effleure dans les errances
Où les Gorgones font bombance.

« Dieu ne joue pas aux dés » (Einstein encore). Évidemment puisque il n'existe pas. Lewis Carroll décrit assez bien notre environnement : le pays des merveilles. Il y a des passages, des couloirs, des chats énigmatiques… un fonctionnement que nous ne comprenons pas complètement. En retournant le sablier, est-ce que le temps s’écoule à l'envers ? Avons-nous besoin d’experts en Chapelier Fou, ou d'un peu plus de bon sens façon Benjamin Franklin, inventeur du paratonnerre quand même ?
J’aimerais organiser les couleurs et les lumières. J’ai navigué au bord de l'orage, non sans un peu d'angoisse. Je crois que c'était du bleu de Prusse, inquiétant. Avec de la vitesse j'ai pu contourner des cellules de grains forts. La surface de l'eau était marquée par les gouttes. Puis j'ai vu sur l'horizon que le bleu devenait noir, absorbant toutes particules, pour devenir la singularité du Big Bang, ou était-ce celle du Big Crush ? La fin qui guette ? Qu’importe, il y a le courant qui nous fait avancer, ou nous déporte, changeant les angles, les lignes, pour faire un petit croquis compliqué dans un coin de l'image de la trace.
Pas sûr que ça aide à la compréhension. Mais c'est joli, un peu comme une véranda au sud des États-Unis : ni dedans ni dehors, dit Baricco ; elle est entre nous (notre intérieur) et le monde (l’extérieur, autre). C’est très vrai mais il n'y a pas de vérandas dans les pays nordiques. La convivialité passe à l'intérieur à cause du froid. On y raconte aussi des histoires d'animaux, d'esprits qu'il ne faut pas contrarier et du temps qui change avec les nuages.
Racines, perception, orientation et le bord éclairé du nuage. Technique de narration et piles d'assiette quand ça souffle fort en altitude. Mélanges.
Noter l'heure de la renverse, être en phase, regarder passer les saisons. Les oiseaux et les marins se mettent à l'abri dans les coups de vent d'hiver ; les huitrier-pies et les courlis se pressent sur le sable. Les tadornes sont comme au mouillage.
Curiosité et séduction. Je recherche des mots clés. Je considère mon mode de penser, d'enchaîner des pensées. Il y a des échos, des incertitudes, des dossiers plus ou moins organisés. Air, mer, femmes. Je vais devoir bientôt en ajouter un pour les disparus que j'ai perdu dans le passé. Je ferai bientôt partie du club. Comment transformer le plomb du quotidien en plume souple, pour aller vers le lâcher-prise, « to go with the flow », pour « être ici maintenant ». L’amitié, l'amour, la mort… que va-t-il me rester à la fin ? Des mots qui racontent des moments de partage d'espace-temps.
Nous nous rencontrons parfois sur les petits ponts que l'on devine au plus profond des paysages des peintures chinoises, deux petites silhouettes qui profitent d'une ouverture du paysage dont on espère qu'elle permet une satisfaction partagée. Sur la côte il faut voir les oiseaux. Les bouées du chenal montrent une persistance dans leur position qui varie avec les années, les bancs et le trait de côte. Voyons-nous la même lumière qui entoure le petit bois, éclaire les troncs, découpe les nuages ? Yvon le Corre, Hugo Pratt, Alvaro Mutis… et quelques autres évidemment. Sanfourche et Soulage : il y a de la belle différence, selon l'humeur du temps.
Faire le point ; mouiller dans la crique abritée pour regarder, rêvasser, du microcosme jusqu’au macro, séché bien sûr, décalé et salé, et puis sucré de façon sacrilège, rébellion pour échapper aux règles communes. À l'instant le bigorneau se fait montgolfière et pulse comme un nautile : victoire de l'imagination, de l'évasion.
La plume, le nuage, l'eau, de la goutte à l'océan. Un jour je vais pénétrer dans l'imaginaire. J’ai le doigt sur le problème, effleurant l’œil du cyclone, le doigt sur la gâchette, le mot sur le bout de la langue, au bout du doigt, au bout du compte, du monde, du chemin, de l'histoire. In fine. Ad majorem dei gloriam. Ou juste pour atteindre un nouvel univers un néant tout frais, aurore boréale d'un petit horizon lointain.
Je vais reprendre un petit café et mes pinceaux démêlés.

Alvaro M. et Joseph C. naviguent dans la canonnière,
matelot Corto ; Douanier Rousseau et De Chirico saluent G. Moreau.
Sine qua non. Sine die. Ad vitam æternam.
Des symboles, des peintures, des dessins au trait noir,
Contrejour de lumière obscure. Coulures,
Sur des palettes se mélangent les couleurs
Pour engendrer des sens dont j’ignorais l'existence.
Mais où vont-ils aller ?

2
INTRODUCTION
J’ai vu des tableaux avec des profondeurs, des photographies avec des présences, des lignes avec des couleurs. Je n'ai pas toujours cherché un sens mais j'ai essayé de voir l'instant et sa lumière.
Il s'inscrit en mémoire et essaie de revenir sur le papier ou en paroles confuses. J’aimerais organiser l'entropie mais la vague est fuyante et le fil ténu. L’air est bien trop léger pour toujours me porter, mais je ne l’aime pas lourd.
Ligne, cercle, triangle, Klee et Miro, traits de Matisse et Cocteau. Le noir. Les nudités aux chairs appétissantes des siècles passés. Îles de la Sonde et détroit de Malacca, tatouages. Les Marquises ne sont pas de Versailles.
Mes pensées peuvent facilement flotter. Moi moins. Je suis à la frontière de l'hydro et de l'aéro-dynamique des fluides. C’est assez technique : Manfred curry, Lilienthal… gare aux égratignures de la couche limite, au décollement de la plèvre et à l'effet Venturi.
Oxydation, rouille, érosion, vieillissement ; le temps se place dans ma tête dans divers albums et tiroirs. Comment faire autrement ? Je ne dois pas oublier quelques sauvegardes. Mais pour qui ? Le présent n’est déjà pas si sûr d'exister. Le chat de Schrödinger ne sait pas à quelle gare il va descendre ; et si en plus il y a une grève… il faut que je recommence à zéro. Sisyphe. Est-ce très motivant ? Vais-je aller quelque part, de l'autre côté de l’ile, ou de la montagne ? Où coule une rivière pas trop tumultueuse, un fleuve ? Vers quel archipel ?
Cali, divinité féminine du temps ; Yoni soit qui mal y pense. L’œuf de l'unité originelle a été pondu pour rassembler les énergies qui donnent des ailes. Lévitation ou plongeon ?
Le cloître du monastère a des colonnes surmontées d'un arc roman. Il est favorable à la déambulation, à la méditation. Plus loin une balustrade style Louis XV marque le bout du jardin, qui donne sur le lac et les montagnes. Le héros romantique pourrait courtiser la princesse, mais y a-t-il encore des personnages dans le scénario, où est-ce juste fiction de paysage ? Quelle image de yantra, de plan de temple, de couleur de robe de moine, safran, jaune-orange, avec des variantes selon l'éclairage qui vient de derrière le nuage, quelle image, vous dis-je, se superpose à celle qui est latente, l’attente. Le tantrisme voit le sexe féminin comme un plat avec bec verseur.
Le coco-fesse, le serpent, le lotus, l’œuf cosmique et le tableau des kakis Japonais flottant dans l'espace se mélangent en soupe épaisse, en bouillon de culture dans ma tête qui sort du sommeil, alors que le jour n'est pas encore levé. Une toux sèche racle ma poitrine en de désagréables soubresauts. Je vais acheter des bonbons au miel. Mais peut-être faudra-t-il du sirop.
Ce corps est très présent et très utile. J’aimerais en maîtriser encore plus les mouvements et pouvoir passer à un état supérieur de conscience, celui où on ne se préoccupe pas de la révision de la chaudière, du jour des poubelles, de la date des impôts.
Cassiopée et Orion sont faciles à voir le matin. Aujourd’hui une étoile semble doublement scintiller avec insistance un peu au-dessus de l'horizon. Hier un satellite est passé lentement, très lumineux. Peut-être était-ce la station spatiale, un astronaute le coude à la portière regardant le paysage ? Puisque il y a des années-lumière il y a probablement des années-obscurité, parcourues par le noir en une seconde, pour construire le monde parallèle. Je garde le contact mais je m'interroge sur la réalité juste de notre côté de la galaxie.
Le narrateur se demande pour la suite et les personnages… vous avez commandé les desserts ? Quant à moi je dois aller acheter des yaourts.
Le marais est très inondé cette année. J’aimerais prendre la petite route qui serpente, pour sa lumière. Quelle sera-t-elle aujourd'hui, alors qu'il y a encore du brouillard ? Des oiseaux seront au rendez-vous, des fantômes de peintres aussi (Claude Margat) ? J’irai avec des amis photographes de talent. Le paysage change avec chaque nouveau matin ; les heures passent, combinant répétition et altérations. L’ensoleillement et le degré d'humidité sont deux variables ajoutées à mon humeur du jour. De quel nuage devons-nous espérer la venue ? Serons nous dans le trou bleu de la photo satellite ?


Pascal Legrand

Visiteurs : 143

Retour à l'accueil