LE VEUF ET L’ÂNE 2019-06-30


Il était… que ma femme est morte. Je pense que personne ne trouvera étrange que je l'ai vue dans un rêve. Elle était au pied d'un grand chêne. Je crois qu'elle coupait le bout d'une branche. Comme il n'était pas question de gland, je suppose que ceci n'a pas valeur de symbole de castration, mais plutôt d'entretien du patrimoine. Je connais un chêne centenaire de forme plus torturé que celui de mon rêve, qui se porte comme un charme, ou un hêtre resté très simple.
De nos jours les enfants n'apprennent plus à reconnaître ou à dessiner la silhouette des arbres. Ma femme se portait bien, avait bonne mine, portait ses grandes lunettes, coiffée comme sur les photographies de sa jeunesse, cheveux mi- longs, un peu gonflés en volume, auburn. Le temps passe. Prendra-t-il une couleur ambrée, qui correspondra au sépia des vieilles photographies, mais en trois dimensions.
J’aime bien les arbres. J’ai pu grimper dedans à des fins diverses ; le roi Saint Louis rendait justice à leur ombre bienfaisante. Dommage qu'il y ait eu les pendus de François Villon à leurs branches. J’aime la variété des écorces du chêne et du citronnier, le tronc lisse et luisant du baobab, la résine odorante des pins. Je me méfie du lierre poilu qui enserre subrepticement, et du coup de vent soudain qui déracine, la tête à l'envers. Il y a le temps végétal, biologique, et celui de mon esprit, de mon âme immatérielle qui migre d'un arbre à l'autre. Ou pas.
Ai-je grimpé aux branches, ou me suis-je, maladroitement et par erreur, posé-branché, aile froissée mais sans égratignure ? Le sapin et l'épicéa amortissent. Depuis lors j'ai une relation d'intimité avec les troncs. Qui serait prêt à parier qu’imitant la buse je peux passer entre les frondaisons d'un bois, sans dommage corporel (sauf pour les neurones). Vous allez penser que je bois. Vous avez dit « bois » ? Alors que je relie juste les mots. Après je relis normalement, pour les fautes de frappe. Restons attentif, soyez vigilant.
Entre les arbres j'ai vu Pégase : c'était un cheval blanc comme dans le tableau de Gauguin. Parfois le paysage le plus habituel prend un caractère onirique. Ce tableau est un rêve ; mais j'ai bien pris des photos de chevaux blancs, blancs chevaux. ils peuvent s'isoler comme une crête de vagues au milieu de mondes vert profond. Ce sont certainement des réincarnations d’êtres sacrés, qui nous libèrent du poids de nos enveloppes matérielles terrestres. Nos corps deviennent des rêves à chevaucher. Attention aux chutes de cheval.
Le cheval est au pied de l'arbre, mais l’œil remarque d'abord l'animal. L’ordre de nos perceptions est-il significatif ? Ma femme ne dit rien. Il n'y a plus de cheval. N’est-ce pas là l’âne du père Martin ? Dois-je trouver une autre compagne, retourner dans la forêt de Fontainebleau voir la mare aux fées, ou ramasser des plumes d’aigrettes sous les chênes verts l'hiver ?
Le jour se lève. Les feuilles bougent et les nuages passent. Je vais voir quoi faire de ma journée.


Pascal Legrand

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