LES CONQUÉRANTES 2018-07-30

Les conquérantes

Au lieu-dit « les boules d'acier », en regardant vers l'est on peut voir les signes. Je les ai vues. Elles se préparent. Elles sont organisées, en cohortes comme les Romains, mais seuls quelques éclaireurs s'aventurent sur le sable, venues du silence de la mer, avec un peu de bruit de vague et de vent quand même. Elles viennent du Monde de dessous la surface.
Il y a quelques temps, pour la croisade, elles ont essayé d’enrôler des pieux, les bouchots ; on les voyait s'aligner à marée basse ; elles s'enroulaient comme les serpents se dressent, se lovant en pythons musclés. Mais évidemment c’était un peu trop repérable. Les veilleurs de la cité d'Ys ne manquaient pas de les signaler aux défenseurs des fortifications. Pour bénéficier d'un effet de surprise il leur fallait changer de stratégie.
Une assemblée collégiale des chefs sages décida donc d'adopter la filière, c'est-à-dire une corde en pleine eau sur laquelle elles s’installeraient, afin de croître et multiplier, sous des bouées jaunes ou noires fabriquées industriellement par les humains, qui n'avaient pas encore conscience de la durabilité du plastique dangereux pour la mer et la planète.
Ainsi les moules habitent tranquilles sous les eaux, pendues aux aussières, entre les îles, sacrifiant quelques-unes de leurs congénères à des grues montées sur des bateaux ramasseurs. Ces moules vont en reconnaissance courageusement, car bien peu reviennent pour rapporter les agissements des bipèdes. Ceux-ci, gourmands tels des ogres, les dévorent le plus souvent sans autre forme de procès dans des restaurants sur le front (de mer). Malgré tout la colonie prospère, et s'étend dans les Pertuis, attirant des étoiles de mer, des bigorneaux et des chapeaux chinois, dont le rôle à ce jour n'est pas clair dans cette affaire, alors que pour l’huitre c'est plus clair, à cause de l'algue bien sûr.
L’huître est une alliée des moules qui progresse par bassin, ne fait pas de bruit, se fait oublier, sauf avec les plaideurs de La Fontaine. Faut-il rappeler qu'elle pénètre vivante dans le corps des bipèdes ? L’huître conquiert son territoire par la table, colonise des poches, squatte des collecteurs, se mêle à l'activité ostréicole sans la moindre vergogne.
La moule ne se dévoile pas de manière si évidente. Aux malines, sur les grandes banches découvertes par la marée certains pêcheurs à pied se font parfois piéger par le flot. Ce ne sont qu’escarmouches ; les algues rendent les corps. Le peuple des mollusques et crustacés reste dans l'attente, guette le bon moment. Si une hélice se trouve prisonnière des mouillages à l'occasion, l'incident ne coule pas le navire. C’est de patience et longueur de temps dont il s'agit pour établir les têtes de pont, de constance face aux tempêtes d'hiver, de réactivité aux proliférations d'algues vertes l'été, de dinophysis, alexandrium, gyrodinium… les contrôles inopinés de l’IFREMER sont-ils appropriés ?
Rien ne doit filtrer. L’univers de la pensée des bivalves doit rester ignoré, ce qu'elles ont pu parvenir à faire pour le moment. D’après nos informations nous pouvons envisager encore quelques années de stabilité. Il nous faut rester vigilants. Le status quo ne durera pas toujours. Nous allons considérer l'éventualité d'une avancée et étudier les conséquences à long terme de l'augmentation des taux, en collaboration avec les renseignements généraux.


Pascal Legrand

Visiteurs : 96

Retour à l'accueil