TEMPUS FUGIT 2017-12-28




Les couleurs de l'hiver à marée basse par ce matin gris sont splendides de profondeur. Elles sont uniques à ce jour de solstice d'hiver. Le sel a dû se combiner à une petite gelée pour obtenir un orange-passé qu'on croirait venu de la palette de Gauguin. La musique des teintes douces nous transporte dans un autre lieu, dans un autre temps, par un regard voyageur, aspirant, enseigne ou capitaine de vaisseau, qui s'aventure dans les canyons de vase creusée par des courants étranges ; il y a des arêtes tranchantes qui stoppent les éclairages, et des vallées où luit une eau oubliée. Erosion de la planète.
Ciste et salicorne. Surface mate des sédiments. Silice et tension de surface. Les noirs des bois des carrelets goudronnés se font denses, contrastés sur le ciel bas. Le pinceau va chercher des extrêmes, des pigments broyés, fins de texture et de matière, des terre de Sienne, des ocres peut-être, des échardes de bois. Des rugosités de roc accueillent des lichens marins, des coquillages, des vers, qui occuperont tadornes et bernaches qui cacardent gentiment un peu plus loin à l'abri du vent.
Peindre m'aurait pris trop de temps, à supposer que je sache le faire. La photographie aurait été trop réaliste, trop plate, sans le bon grain, avec des pixels sans relief, sans les fils de la toile, où se mélangeraient les impressions des mots non-dits. Impressionnisme, expressionnisme, symbolisme…
Je vois surtout mon regard qui se pose dans l'instant qui s'enfuit en même temps que je le saisis.
Les jours sont courts. Il faudra donc faire avec de trop rares nuits étoilées, et avec le pouvoir d'évocation des rêves et des images de paysages entrevus, ou recréés de mémoire fragile, à partir de mots dilués sur des lignes fantasques, quoiqu’horizontales, génératrices d'interprétations discutées un soir autour de quelques verres, en attendant d’autres saisons.


Pascal Legrand

Visiteurs : 94

Retour à l'accueil