DIPTYQUE / TRIPTYQUE 2016-04-01


Le passé est important, mais jusqu’où a –t-il de l’influence face à la rondeur d’une poitrine ou à des raideurs intrusives ? Les réponses varient en fonction des circonstances.
Mon tableau est la représentation du point G, G comme gravité, c’est-à-dire là où le monde a pesanteur, là où il s’articule, pivote ; là où tout se met à tourner, peut-être, car tout est en attente, suspendu au bon vouloir des évènements de notre avenir. La couleur s’échappe de la toile et attire l’œil.
La couleur marque l’instant. Rouge sang de la blessure au commencement, qui se nécrose ensuite, vieillit comme le vin, qui vit comme un organisme : « c’est la vie. »
La ligne marque le temps, traditionnellement dans nos cultures occidentales, mais rien n’empêche d’y voir une portion de cercle déroulée, où un échantillon d’ADN sous le microscope. Il faut pouvoir passer de l’échelle cosmogonique à celle de l’infiniment petit, dont le silence des espaces nous effraie aussi, avec ses animalcules, ses mondes encore inconnus, et les vides inexplorés qui les séparent. Le regard se perd dans les interstices implicites ; il entraine mon esprit à sa suite dans une navigation hasardeuse et dangereuse. Je m’égare dans les chenaux patagons, saisi d’abord par le froid. Puis la fonte des glaciers m’apparait menacer ma planète, relativiser l’histoire humaine, faire renaitre les grands mammifères marins, les craintes ancestrales.
« Où suis-je et pourquoi ? », évidemment, et aussi « profitons de l’instant ». Contemplons, acceptons la fusion du moment, sans rien faire d’autre qu’essayer de saisir la vibration des couleurs sur la toile que le regard anime. L’esprit est là qui communique par la pointe du pinceau, par la matière accumulée, mélangée, étirée, qui va rester figée, encadrée, exposée à l’œil critique pour lui ouvrir quelques fenêtres, pour que la colombe s’échappe et se libère.
Le mammifère marin devient poisson volant.
Une ondulation du bas du dos crée une longue houle érotique qui fait le tour du globe et caresse les côtes du grand sud. Les énergies intemporelles jouent des éléments, du vent, des courants, des mystérieux fluides de contrées inconnues aux lentes hypnoses chatoyantes décrites par des poètes aux tendances rimbaldiennes et cahotantes. On ne voyage pas sans dommage sur certaines routes ou fleuves ; les peuplades primitives guettent sur les rives un vol de migrateurs mythiques, et même celui des grues couronnées d’Hokkaido ou des oies du Canada.
J’arpente la pente du dos jusqu’à atteindre l’abîme, la faille, la fosse des Mariannes, et les grands noirs profonds ; sont-ils réellement sans lumière ? N’est-elle pas dans chaque atome d’eau ? Mémoire de la surface et de l’au-delà, des mers intergalactiques où voguent des flottes de voiles solaires. Un souffle d’amour fait frissonner la peau, indicible sensation tactile, moment intangible, paradoxale compréhension éphémère. Ai-je vu ce que l’homme a cru voir ? Entre les nuées ? Dans le marc de café ? Dans l’écoulement du temps qui m’emporte ? Je suis la particule dans le flot ou dans le jusant. Nous touchons l’autre d’un geste furtif, significatif, chargé d’une étincelle, d’un éclair qui zigzague entre les paratonnerres pour chercher la paix du soir, la métaphore posée, la métamorphose accomplie, l’oubli des Lotophages.
Au loin je vois le mouillage dans l’anse verte.


Pascal Legrand

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