PAGAIE 2016-02-13




Je flotte comme un phoque sur la respiration lente de la mer en miroir. Ce n'est pas encore l'hiver. Les oies noires à cul blanc se sont envolées. D'autres poussent leurs cris rauques d'avertissement. Les huîtriers ont les pattes dans l'eau sur le sable qui découvre à peine, au début du descendant. Ils restent imperturbables.

Une colonie de petits migrateurs, des pluviers tachetés peut-être, se confond avec le rocher, s'envole un instant pour un vol circulaire avec des cris stridents. Les roches affleurantes sont en contre-jour. Les oiseaux sont en ombre chinoise. Le soleil descend doucement. Au loin, une île et un clocher sur l'horizon. Deux aigrettes promènent délicatement leurs pattes et piquent leur nourriture du bec. Une vaguelette de petite houle se déroule, de temps en temps, pour confirmer le calme de la mer au milieu des oiseaux.

Un refuge pour pêcheurs à pied pris par la marée rappelle une présence humaine possible. Quelques poutres verticales bien plantées supportent une plate-forme avec un peu de ferraille rouillée. Il n'y a probablement jamais eu personne sur ce refuge. C'est un nid de pie au raz de l'eau ou presque et la vigie n'est jamais à poste, sauf si l'on considère les deux cormorans comme des guetteurs. Eux sont toujours là ; ils font sécher leurs plumes, les ailes tendues, encore plus noires lorsqu'elles sont luisantes. Ils ont la tête en girouette, l'œil brillant, prêts à se jeter à contrecœur dans des battements appuyés, leurs bouts d'ailes laissant des traces de ricochets dans leur difficile palier de prise de vitesse.

Le plus important, c'est l'éclairage. La vie est comme une lanterne magique. Le spectacle est sonorisé. Il est pour moi seul. Il y a bien quelques bateaux au loin ; une bouée cardinale, une balise, quelques forts, mais il ne s'agit que du décor. Ma pagaie se fait silencieuse. Je regarde la bande dessinée des oiseaux. Je vois passer des hiéroglyphes, mais rien n'est immuable. Il n'y pas de pyramides de mort, mais une légèreté des ailes sur l'eau, qui s'échappe si la marée recouvre la banche. Comme un coup de gomme, tout s'efface. Quant à moi, je pourrais rester tant que restent les hautes pressions, mais je sais que le temps va changer, alors je vais laisser cet endroit dans son calme et quitter ce monde. Je vais faire route sur le port, la jetée, la cale, ses lasses et ses filets. Mais, finalement, je me dis que je pourrais aussi m'envoler.


Pascal Legrand

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