CLAPOT/ VAGUE/ HOULE 2016-01-03



C’est peut-être une histoire de vocabulaire. Je peux juste dire que c’est la mer. Trouver le mot qui convient est aussi une bonne idée pour éviter les malentendus, mais ne suffit pas toujours pour exprimer des sentiments avec la précision requise pour éviter les ennuis. De plus on dit souvent qu’il est préférable de se taire plutôt que de dire des bêtises, sans parler de les écrire.
Faut-il ensuite lire entre les lignes pour déchiffrer les mouvements des plaques tectoniques, les messages codés, les allusions ? Ou faut-il attendre que le vent tourne, que la marée remonte et recouvre à nouveau l’estran, que le courant déplace les bancs de sable, et fasse disparaître les icebergs pour sauver le Titanic ?
Avec le temps les mots passent, perdent leur contexte, leur couleur, leur relief. Ou restent. Souvenirs. C’est ce qu’il y a de moins pire. C’est mieux que rien. Il y a une association d’images mais c’est un peu chacun la sienne. Par exemple une ferme ; vous la voyez normande ou en Brie ? Une pomme ? La forêt ? Il faut être à l’écoute, j’entends bien, je fais un effort, mais la communication reste difficile, un long apprentissage de la frustration, un peu comme la vie. J’essaie la métaphore pour me faire comprendre. La vie comme vol ou navigation. Décollage/appareillage. Cap, manœuvres, aventures, côtes accueillantes et hostiles. Atterrissage (le même mot). Amarrage. Repos. Verre de vin. Nourriture. Partage. C’est l’idée générale.
Pour quelqu’un qui n’a jamais navigué (ohé, ohé !) larguer les amarres peut se comprendre au sens figuré. Choisir où se poser peut vouloir dire trouver un siège en terrasse (la manche à air est en bout de piste). Et j’ai vite fait de m’emmêler les crayons, ce qui est mauvais pour écrire.
Il faut que je garde une certaine distance pour voir la scène dans son ensemble (« the big picture », problème de langue…). Où se trouve le pic ? Où la vague va-t-elle casser ? Quelle fréquence dans les séries ? Avec le vent de travers je risque d’avoir les embruns dans les yeux. Je dois choisir le bon jour, la bonne météo.
Depuis un certain nombre d’années je vois souvent l’hiver ces vagues déferler sur les hauts-fonds à marée basse, avant ou après un coup de vent. C’est un beau spectacle d’écume que je regarde de loin sur terre. Elles m’attirent. Je sais que le temps de les atteindre elles auront changé à cause de la hauteur d’eau, du vent qui se lève (« il faut continuer de vivre »). Un instant manqué ne revient jamais à l’identique. Comme en amour.
Un jour je lui ai téléphoné pour lui dire que je voulais la voir. Mon ton ne lui a pas plu. Je ne l’ai presque jamais revue. « Tu sais bien trouver les mots », me disait-elle. Il me manquait l’intonation…dommage. Je n’aime pas le téléphone qui efface le langage du corps. « Je ne trouve pas les mots »…faut-il essayer d’en fabriquer ? Des mots portemanteau, des mots qui viendraient du fond du dictionnaire, idiosyncratiques ? Je préfère les mots simples et les phrases courtes.
J’apprécie le rapprochement de scènes différentes: les adieux sur le quai et l’entrée en gare de La Ciotat (les frères Lumière), ou de Paris (saint Lazare, avec Monet). La vapeur de l’époque compte autant que l’atmosphère. L’arrivée, l’accostage.
Mourir, partir, décéder, disparaitre, passer…une affaire de style ? Les esquimaux ont des mots en nombre pour la neige, la poudreuse, la soupe…croûte friable, plaque à vent : Il nous faut ajouter pour préciser. L’abstrait sera-t-il plus facile que le concret ? Et les sentiments plus clairs que les faits ? L’art de la cuisine est-il dans la sauce, dans l’assemblage des textures, dans l’architecture et le mélange des genres ? J’ai l’impression d’aller vers l’apprentissage de la privation (pénurie ou cholestérol ?).
Les vagues déroulent leur panache blanc de l’autre côté de la baie, absentes comme des femmes, attachées à leur rocher (travail ou famille). Une ondulation parvient jusqu’à moi de temps en temps, fruit du hasard. Je joue quelques heures avec le temps, les photons, les atomes, les galaxies…une échappée poétique vers les îles, les dunes, les falaises, les embouchures, les mangroves…avec des visions de peinture, de représentation, de description, de communication, qui me ramènent petit à petit à ma case départ. Horizon bleuté brumeux. La facilité fait place au travail du cantonnier qui casse ses cailloux.
De l’autre côté de la rue, du chenal, de la piste, il y a l’hôtel de la plage, de la gare, des bains, de l’océan. C’était bien mais j’habite quelque part. Je ne suis pas un voyageur éternel. J’apprécie le charme des départs et des arrivées à doses homéopathiques, à cause des valises, des inventaires, du gaz à couper, des poubelles à sortir…J’aime les maisons blanches aux volets bleu, les bungalows, les chalets, les châteaux, et les ailleurs sans trop d’aéroports et de parkings. Je vais choisir un mouillage dans une crique bien abritée. Mon lit et mon petit déjeuner. J’ai du mal à combiner la réalisation de tous mes désirs car je travaille lentement. Je cherche à être efficace, donc parfois je réfléchis trop, parfois je vais trop vite (et j’oublie les clefs).
Je vais voir si je peux faire quelque chose. Je sens que vous pensez que ça va être difficile.


Pascal Legrand

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