LÉGÈRETÉ 2015-12-02



J’ai travaillé dans le domaine des matériaux pendant quelque temps et leurs propriétés m’intéressent ; leur résistance, leur souplesse ou leur rigidité en fonction des usages, leur bon vieillissement ou leur corrosion. Il y a de trop nombreuses expériences à effectuer pour caractériser, analyser et améliorer les propriétés de ce qui est amené à s’intégrer dans notre environnement et nos moyens de transports. Il faut trouver des recettes pour diminuer ce nombre en sélectionnant les facteurs clef, et cette cuisine s’appelle « plans d’expériences » ; ceci a recours à des notions assez compliqués, que l’on appelle « simplex », ou « carré gréco latin », pour appâter les curieux avec des images alléchantes qui finissent en « complex » et triporteur japonais.
L’éphémère, l’immatériel est paradoxalement lié à l’étude des matériaux et du repos éternel. Il faut avoir un grand sens de l’observation et maitriser l’art de faire des rapprochements pour faire avancer la science, la littérature et la pensée philosophique. L’immatériel est léger, donc si l’on tend vers le poids zéro il devient plus probable de s’en rapprocher. Mais le sujet n’est plus si facile et si léger lorsqu’on parle crémation ou enterrement des corps. La pesanteur terrestre s’oppose à l’aérien et le vers de terre est moins symbole de liberté que l’oiseau. Pour ce qui est des racines nous aimons être nés quelque part, avoir un ancrage ; encore que les nomades se déplacent bien comme des oiseaux sauvages, sur une route de migration ancestrale qui suit les pâturages.
Je me sens plus ‘oiseau’ que ‘vers de terre’ ; ma surcharge pondérale m’indique par mal au dos qu’il faut chercher le gain de poids ; manutentions de cageots, panier de la ménagère, enclume de mon oncle… (Je ne la déplace que rarement) ; le poids n’est pas toujours un ami.
La différence entre poids et masse est bien expliquée dans l’encyclopédie. Il est utile en vélo de prendre de la vitesse dans la descente pour se lancer dans la montée. Une inertie, une erre, énergie cinétique, est appréciée pour obtenir des courbes esthétiques dans les manœuvres des navires, avec un glissement qui efface les turbulences des remous de la vie.
Un virage sur l’aile en avion vous écrase sur le siège ; les ‘G’ sont lourds. Paradoxe ? Cœur lourd ou cœur léger ? Dans la vie de tous les jours il n’y a pas un lien direct avec l’envol. Ainsi la poussière nous accompagne dans le temps avec une tendance marquée vers le bas. Un courant d’air la soulève dans la lumière et en fait une myriade d’étoiles qui échappe au chiffon. Nous ne sommes que poussière dans le vent ; la bible dit ‘des cendres aux cendres’. A voir pour d’autres religions. La lourdeur des rites piège l’âme dans un carcan ; elle n’entend alors plus la musique du vent.
Penser en dehors de la boite. Le poids des mots. Evitez les embrouilles et affiner la silhouette pour que la pénétration dans l’air s’améliore, « form follows function ». Bruits d’air.
Je me rends plus souvent au crématorium. Le jardin du souvenir est en bordure de l’aéroport, séparé par une clôture qui arrête les cervidés, mais pas les lapins ni le bruit des réacteurs. Méditation au parfum de kérosène. Les urnes sont alignées dans un mur, pas emmurées; le mur n’est pas droit (liberté de la courbe). Boites noires des secrets enregistrés.
L’alternative est la dispersion des cendres sur le gazon, dos au vent de préférence. Une dame en tenue de deuil hésitait sur l’emplacement à choisir, pointilleuse ou maniaque pour des gestes potentiellement amples ou solennels qui s’oublient difficilement. Elle se décida il y eut comme un nuage de fumée qui passa et se posa.
C’était l’automne. Le vent avait amené des feuilles de chêne et de châtaignier. Quelque temps après, une fois le groupe parti, le jardinier vint avec sa puissante soufflette dégager la pelouse. Une fin légère.

Epilogue énigmatique
Du bas de la page à la page suivante il n’y a souvent pour le lecteur qu’un mouvement machinal, jusqu’au point final. Il y a des débuts connus : « appelez-moi Ismaël » et des fins qui sonnent bien : « des bateaux qui tirent des bords face au courant » (Moby Dick et Gatsby le magnifique), ou qui promettent autre chose au spectateur: « c’est le début d’une belle amitié » (Casablanca).
Haruki Murakami termine « L’incolore Tukuru Tazaki et ses années de pèlerinage » par : « ne demeura ensuite que le bruissement du vent à travers les bosquets de bouleaux blancs ; ». L’allitération existe-elle en japonais ? Ne sonne-t-elle pas de façon appropriée comme des pas qui s’éloignent ? Le feu rouge du wagon de queue du train fait écho à la lumière verte de l’estacade de la rive d’en face. Vert à tribord, rouge à bâbord : je vais passer entre les deux.


Pascal Legrand

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