POINTS 2015-11-24



La lune était en croissant derrière le pin quand j’ai ouvert les volets. C’est une heure favorable aux associations d’idées qui surgissent du demi-sommeil.
J’habite une région de châtaigniers ; j’aime la purée de marrons et les marrons glacés. Le chêne tient une place de premier plan dans mes préférences ; le palmier et le pin parasol évoquent pour moi des images plaisantes, mais c’est le peuplier qui m’apparait comme l’arbre de mon enfance. Elancé et fragile sur les bords de Seine, en concurrence avec les platanes ; je me demande pourquoi c’est lui que je choisis. Son bois est léger, mais moins que le balsa ; il n’a pas les couleurs et les qualités des bois exotiques. Ses feuilles s’agitent gentiment dans la brise et il ondule de façon musclée dans le coup de vent, comme un grand roseau. C’est aussi un contemplatif qui aime regarder la rivière. Il fait partie du tableau, voit passer le canotier, marque les saisons avec les jaunes lumineux de feuilles nombreuses et discrètes qui tombent en tapis changeants.
Ainsi je me retrouve avec dans l’idée quelque chose que je n’attendais pas. Il serait facile de lier mon peuplier avec une promenade en forêt la veille ; je n’en ai pourtant pas vu. Je me rendors et rêve des rêves que j’aimerais comprendre car j’aime trouver les clefs des songes; j’aime l’imprévu, l’inattendu, les montres molles, le silence, même quand le film se rembobine et repasse sans la bande son. Qui était cet homme ? Que dit-il ? Je retrouve le décor et j’essaie d’imaginer une suite.
Il y a toujours le temps qui passe, les peupliers le long de la Seine, les platanes le long des routes, le ruban d’asphalte. Nous avions de longues heures à rouler. Tu aurais pu raconter ta vie et moi la mienne, mais nous sommes restés dans le présent, le concret de l’itinéraire, éviter les bouchons, nourrir la machine, avancer.
C’est mieux d’avoir une ouverture sur l’avenir ; le passé ne se refait pas. Si j’avais écrit le scénario j’aurais été plus analytique, mais la vie n’est pas un film. Au programme hier soir il y avait « sur la route de Madison » en même temps que « slumdog millionnaire ».
J’ai trois livres en cours de lecture (dont Murakami et Bouvier). De mon voyage dans le sud j’ai ramené des galets pour changer du sable atlantique. En traversant un village sur le trajet j’ai pensé à un texte que j’ai écrit après avoir attendu devant l’église survolée par des martinets quasi supersoniques; je ne me souviens pas des mots précis mais je serais curieux de voir si ce récit permet toujours un partage longtemps après… Est-ce que j’attends encore ?
Le peuplier n’a rien à voir dans tout ceci ; pourtant il est passé ce matin.
Jour 2
Le lendemain c’est le sanatorium qui se présente à moi. Je trouve que c’est un mot désuet, de consonance étrange, avec une résonance de couloir. J’en vois un sur une carte non loin du pertuis de Maumusson au sud de l’ile d’Oléron. C’est un bâtiment remarquable, comme tout sanatorium sans doute. Il a été transformé en hôtel, mais j’associe toujours le lieu au mot (sur la carte rien n’a changé,sauf qu'il est parfois appelé "préventorium")), et à un climat sain qui favorise la guérison (de la tuberculose). La passe et ses forts courants sont-ils proches du Léthé ? Le balisage est soumis au déplacement des bancs de sable. Prudence requise ; il y a des morts tous les ans.
Les longs bâtiments des sanatoriums de montagne – Saint hilaire du Touvet, Passy – bénéficient de l’air pur du plateau, au-dessus du très actuel brouillard de pollution. Je me retrouve au 19ième siècle avec Stephen Zweig ; couleurs sépia. Changements économiques ; rencontres de gens âgés emmitouflés d’écharpes, dans des cardigans à carreaux, un fauteuil roulant au fond du couloir ou de l’allée. Je me surprends avec des clichés en tête. A cause de l’isolement et de l’architecture je vois aussi le début du film de Kubrick d’après Stephen King, « Shining » avec son hôtel démesuré.
Les montagnes et la mer se rejoignent. Rochers, sable, érosion, vent. Le sanatorium essaie d’arrêter le temps, une barre dans le paysage, peuplé des personnages de « la montagne magique » de Thomas Mann (que je n’ai pas lu), ou des isolés de « Norwegian wood » (Murakami, je relis). Jeunes filles en fleur égarées ? Naoko ou Madeleine…Ton image passe devant moi et je m’interroge sur le bruit d’un engin de chantier. Le monde extérieur arrive vers moi. Il est l’heure de se lever. « Le vent se lève », nous dit Paul Valéry dans « le cimetière marin ». Hissez focs et trinquettes, à moins que ce ne soit spinnaker, screecher ou code 0…Je cite:
« Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs ! »
F.O.C.S.
MDR

Jour 3
L’air et l’eau : c’est l’hydravion bien sûr, un symbole du déplacement sur l’interface, au décollage et à l’atterrissage, un lien qui affleure un instant sans laisser de trace une fois que le sillage s’efface. Je revois ces deux petits biplans mouillés à l’intérieur du vieux port de Menton. J’avais peur qu’ils s’envolent sans pilote sous les rafales méditerranéennes. L’un avait des ailes d’un jaune un peu passé, fleur de gentiane ou bouton d’or fané ; l’autre des lignes rouge -Porco Rosso de Miyazaki-, façon avion de voltige (Pitts), ce qu’il n’était pas. Ils tournaient dans la baie à l’abri des montagnes. Même avec des lacs pour se poser je ne les imaginais pas s’aventurer dans les Alpes, les flotteurs sous la carlingue, pour être le jouet des vents de vallée.
Mon autre image d’hydravion léger se trouve dans un lieu où il est plus prudent d’être en l’air : le pertuis de Maumusson, une fois de plus ! Il y a une belle forêt à survoler sur la côte sauvage. C’est un moustique et pas un Canadair, encore moins la forteresse américaine Hughes H4 hercules ou le Clipper Boeing 314 ou même le Latécoère 631, qui sont les plus gros. Ceux-là ont des coques, pas des flotteurs. Ils ne se dandinent pas de la même façon, sans pattes d’échassier pour les poser plus haut sur l’eau. Ils ont des coques à redan, avec un décrochement. Il faut sauter le pas, la marche, pour passer d’un monde à l’autre. On s’éloigne du poisson volant.
L’état de la surface a son importance et tout ira bien selon le jour, avec un miroir ou quelques vaguelettes, risées, ondulations, tourbillons, algues, bois flottés, débris du hasard…Tension de surface, reflets, portance et trainée.
Parmi les endroits que j’aimerais visiter il y a la base-musée de l’hydravion, à Biscarosse, un nid historique de cette activité. Je voudrais savoir s’il s’y respire un parfum de liberté entre l’eau et l’air. Le petit prince dans son désert toujours chérira la mer. Grains de sable dans le sablier. Hélices de Delaunay. Un peu d’écume et quelques éclaboussures. Comment quitter la terre quand c’est la mer ? Va-t-il finir dans l’étang ? Est-ce juste un jeu (de mots) biscornu ?
« Check list ». Tension des haubans. Je vous emmène dans le domaine du risque, de l’accélération, du vent dans les câbles qui sifflent, l’écharpe flottant derrière la tête et les lunettes de soudeur sur les yeux. Vous venez ?


Pascal Legrand

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