LES PERTUIS 2015-09-14



C’est pas moi, c’est mon camarade. Moi je fais attention à ne pas trop expliquer sinon les gens disent que ça fait professeur, une profession fort honorable au demeurant, mais bon, on a pas toujours envie de les avoir à table, surtout avec les sorties culturelles, la CAMIF et les réformes de l’enseignement. Donc je ne disais rien. C’est lui qui a commencé avec « il y a trois pertuis : Maumusson au sud, dangereux, sableux, fort courant ; le pertuis breton au nord, clapot pourri légendaire, et le pertuis d’Antioche où nous sommes actuellement entre la Longe nord et Chauveau, avec assez d’espace. »
Il y a une proximité malgré tout où je peux faire quelques cases à souvenirs avec des images qui se réactualisent plus ou moins. C’est une façon de prendre conscience du changement et du temps qui passe.
Mon intérêt pour les bateaux a été déclenché lors de mon enfance par des visites à la rue des chantiers (navals), où se trouve maintenant un grand parking (Saint Jean d’Acre) duquel on voit très bien la rue sur les murs. Les chantiers Hervé, Vernazza et autres sentaient bon le copeau car il n’y avait pas de polyester et peu de contreplaqué à coller. Un gros voilier faisait dix mètres de long et, potentiellement, naviguait autour du monde. De l’autre côté du chenal il y a eu les maitres-voiliers et accastilleurs de la ville en bois ; des chalutiers étaient amarrés devant le long bâtiment de la criée, avec sur les quais des chaines, des câbles, de la rouille et des bruits de travail. Maintenant il y a des touristes qui visitent ; les bateaux de l’époque sont parfois au musée avec la frégate météo.
Je me rappelle aussi du tremblement de terre à Saint Martin de Ré : amarré à couple, à marée basse dans le bassin d’échouage, la secousse a réveillé un équipier qui a eu peur que les portes du bassin à flot cèdent et que le courant nous entraine. Quant à moi j’ai bien dormi.
Chaque année nous nous rendions en petite flottille à La Flotte en Ré pour la coupe Polignac, une régate généreusement dotée en Cognac qui nous faisait virer la tourelle des Ilates, parer la balise du Couroneau, enrouler la bouée du Rocha(supprimée aujourd’hui), traverser vers la baie de l’Aiguillon et la pointe d’Arcay, zigzaguer et manœuvrer en tenant compte du courant, de la renverse, des adonnantes dues aux nuages, de quoi affiner notre sens tactique et alimenter les conversations de bar. Il y avait des restes de Yachting dans l’air ; le blazer avec l’écusson du club cédait petit à petit sa place à la fourrure polaire Helly Hansen, aux fibres respirantes et autres Goretex remplaçant les cirés jaunes. Entre temps nous avions tiré des bords pas tous favorables et un peu carrés devant le Groin du Cou, le phare nous tenant longtemps compagnie, une occasionnelle et antédiluvienne tortue-luth, carapace d’un autre âge émergeant devant l’étrave. Nous avons capitulé parfois pour un arrêt au Fier d’Ars, à Trousse-chemise, la Patache après le banc du Bucheron. J’ai une photographie, prise dans le carré sous la lampe tempête, d’une adolescente blonde et innocente, une baigneuse presque sur mes genoux, et un peu plus tard un cliché d’un maigre pris au fusil-harpon, mon seul exploit de chasse sous-marine, un poison énorme bien sûr qui fit s’exclamer d’admiration le seul promeneur (allemand) au bout du banc de sable : « Ach, grand ponheur !» dit-il, et c’était vrai !
L’épave du Champlain (2ième guerre mondiale) a été démantelée. Celle d’Antioche (un chalutier) pointe encore ses espars noirs vers le ciel à marée basse. A la bouée de « Marie-Anne »nous avons franchi quelques lignes d’arrivées après de beaux parcours. Nous avons cherché la longe nord de Boyard (la bouée) dans le courant, vu des déferlantes d’hiver, tapé la girouette dans le voyant d’une grande bouée (Roche du sud ?), sans parler des petits matins froids à la bouée du champ de tir. Ca fait beaucoup de bouées virées…et de belles virées. Une atmosphère, des lumières et des repères, des éclairages, l’abbaye des Chateliers sous le soleil du grain de suroit. Les bateaux qui y laissent leur sillage vont du Casavant au requin, du Rhéa au Tofinou, multicoques, foilers bientôt, cargos, paquebots, et de moins en moins de pêcheurs.
Au sud les lasses ostréicoles foncent sur l’eau des coureaux, disparaissent dans les chenaux sous le niveau de la vase : majestueux fort Louvois, banc de Trompe-sot ; d’une heure à l’autre d’autres hauteurs d’eau, d’autres remous, l’Embellie, le Galon d’or et les plages où je roule en char à voile l’hiver avec le sable soufflé sur les troncs d’arbres échoués. Les blancheurs d’écumes effacent les transparences des vagues. Le surfeur laisse la place aux mouettes et goélands. Les tempêtes d’automne et d’hiver changent le profil de la côte, font ressortir cailloux et galets, amènent de vieilles bouées rouillées, des cibles de tir d’exercices militaires peut-être. La voie du petit train touristique attend.
Je ne sais pas le pertuis que je préfère. Mais il y a encore quelques lieux dont je préfère ne pas parler pour le moment. Prenez la carte et cherchez…Faites donc un petit vol pour découvrir d’autres hauts-fonds, plateaux, banches, îles mystérieuses…sans oublier l’horizon lointain.

“ But seas between us broad have roared
Since old lang syne”.


Pascal Legrand

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