BONNES INTENTIONS 2014-06-18 J’avais décidé d’écrire un polar dont j’avais juste le titre « le mollusque ne fera pas de vieux os ». Il me semblait être un bon début. Je n’avais plus qu’à trouver les lieux, les personnages et la trame du récit. En fait tout s’est déroulé autrement, avec d’un côté la visite d’une exposition,« Remuer ciel et terre », et de l’autre une livraison de faux et de binette dans une future coopérative de production de légumes biologiques. J’ai donc en premier la démarche un peu intellectuelle du FRAC (Midi-Pyrénées) qui publie un fascicule instructif sur les nuages, le ciel, la terre ; et en second un retour à la terre dans une maison perdue au bout d’un chemin loin de tout, avec un soupçon de parfum hippie, sans tuer les petits animaux et sans vraiment les bons outils pour faucher et préparer une parcelle à cultiver. Une histoire de faux pour chercher le vrai. En 1803 Luke Howard publie « On the modifications of clouds ». Le livre n’est pas en vente et je ne l’ai pas vu. Il « pose les bases de la classification des nuages », dit la présentation. De là les idées avancent en direction de la poésie, de la peinture, la contemplation, les avions, l’ésotérisme loufoque (ou non). Du cirrus au stratus en passant par le cumulus humilis et le cumulonimbus il y a en effet quelques pistes possibles. J’ai parfois fréquenté la base des nuages, pris quelques clichés ; c’est ce qui me motive pour écrire maintenant que cette exposition est pour moi un succès car j’y ai découvert des interprétations dans les mots, le discours et les objets à voir. Épuré, paradoxal, minimaliste : un alignement de chiffres est un nombre de pas, des cartes vierges sont des régions inexplorées (la carte du tendre est un papier rose), des portions du ciel photographiées à intervalles réguliers deviennent des œuvres d’art indiscutables : « La mouvance des nuages s’accroche à un ciel d’acétate. A l’inverse dans la profondeur des planches empilées, plus de ciel mais un chaos de nébulosités ». Le livre de pages blanches contient bien sûr « tous les aspects de la réalité ». Les auteurs « enracinent la contemplation et estompent les frontières entre l’art et la science en défendant l’idée d’un « hasard subjectif »… il y a des noms d’artistes (connus ?), des titres d’ouvrages obscurs (pour moi), un extrait du soutra du diamant (du bouddhisme mahayana)… J’ai du mal à voir en quoi « jeter une machine à écrire, de marque Royal, par la fenêtre d’une automobile en marche, puis (à) ramasser et photographier les morceaux éparpillés » a un rapport avec les nuages. De même pour les photos aériennes de parkings vides qui témoignent d’ « une recherche photographique sur la sérialité et d’un regard ironique sur les signes de la modernité triomphante ». Il n’y a rien sur les courses aux pylônes, les lâchers de poules, CAVOK (Ceiling And Visibility OK). Rien sur ce nuage australien en rouleau « the morning glory », qui se traduit aussi par « la trique du matin », rien sur les mammatus aux mamelles pendantes, rien sur les castellanus, ces tours à la hauteur impressionnante les jours de grande instabilité. Je ne parle pas des lapins et du bestiaire céleste traditionnel. Nous ne vivons pas dans le même monde. C’est bien de le savoir. J’apprends l’existence du mouvement de la « poésie concrète » et des « constellations » (groupes de mots arrangés comme des amas d’étoiles…un défi, c’est certain). J’ai moi aussi vu des références « en porte à faux, pas très à propos, voire abusive(s)". Le mouvement « Fluxus » nous propose un « trou » dans le carton blanc pour regarder le ciel. Vous pouvez vous en faire un sans trop de risques, et le mettre au mur .Pensez à varier avec un cercle, un carré, ou une autre forme selon les jours. Nous avons aussi : «l’image de 26 culs de camions représentant chacun une lettre de l’alphabet», ce qui « interroge, au-delà de son aspect formel et référentiel, les notions d’appartenance, d’identité et de mixité.Il ne s’agit pas pour l’artiste de travailler un thème spécifique, mais plutôt une manière singulière d’être au monde. » Me voilà donc rassuré. Et chacun fait ce qu’il veut en essayant de ne pas nuire aux autres. Ainsi l’inventaire photographique des poubelles ne me pose pas de problème. Le commentaire m’interpelle un peu plus : « démarche ambivalente qui se situe entre la volonté d’arrêter le temps, en conservant le passé, et celle de l’annonce irrévocable de la mort. » Cette exposition « s’appréhende telle une mise en abîme propice à apporter une réflexion sur la nature même du livre d’artiste ». Je me demande donc quelle est cette nature…Un papier sans le moindre mot semble appartenir à cette catégorie, mais qu’en serait-il d’un fichier vide? Jusqu’où le virtuel peut-il aller ? Une mort théorique de l’objet nous occulte-t-elle la vision de son futur ? Je m’interroge. Je n’ai pas vu de mer de nuages, spectacle pour alpinistes ou promeneurs des petits matins d’hiver au-dessus des vallées embrumées, spectacle pour pilotes de ligne qui vont replonger et s’engloutir. J’ai slalomé entre les cumulus, j’ai suivi l’ombre des nuages et poursuivi leur respiration qui me permettait de parcourir des kilomètres ; je les ai vu comme les rochers décoratifs d’un aquarium dont j’aurais été le poisson légèrement exotique. Il y a du suspense dans le nuage, surtout s’il commence à vous aspirer. Il peut vous tuer en vous propulsant à des hauteurs (10 000 mètres) où il fait trop froid pour nos organismes ; il peut vous désorienter au point de ne pas savoir si vous avez la tête en haut ou en bas. Le voyage au sein du cumulonimbus est le dernier qu’il faut songer à faire. Si vous restez à terre évitez les grêlons. Nous perturbons le ciel et il se remue tout seul…A force de remuer la terre nous allons trouver les vers, les lombrics qui l’aèrent, car il faut que la terre respire, boive l’eau des nuages à petites gorgées. Petites évaporations, cycle de l’eau, phases de la lune et marées d’équinoxe… il est des masses qui ne sont pas vaporeuses, des mises en abîmes de trous noirs…il se fait tard. Musique: « get off of my cloud. » (Rolling Stones.) Petite Marche Le mage des nuages a fait quelques voyages et pèlerinages, Et vu dans ses errances des vides profonds de couleurs bariolées, Tournant comme des moulins à prières. Désaltéré par d’étranges breuvages Au hasard des auberges au long du sentier, Depuis les plateaux à l’herbe rase jusques aux lits des torrents, Cailloux des cols, drapeaux au vent, L’esprit progresse lentement, monte et descend. Le vent, l’oiseau, le ciel, Le blanc, la pierre, l’eau. Un souffle à l’occasion dévie le vol du papillon. La montagne bouge, le sage s’interroge : « Faut-il quitter le sol, Et rejoindre le lac Song-köl, le cristal du Kaïlash, l’aigle kirghize, Ou suivre le plané du condor des Andes ? » Nous prenons un chemin de terre difficile à trouver. Il n’est pas en trop mauvais état. La garde au sol de la voiture permet de ne pas racler car c’est sec et il n’y a pas d’ornières. Après chez le charpentier c’est à la fourche à droite ; il faut encore continuer en se demandant si c’est le bon chemin. Nous passons dans le bois. Champignons certainement…Une maison de pierre sans caractère apparaît : une porte, deux fenêtres et une grange attenante, suivie d’une haie de thuyas qui a beaucoup trop poussé… C’est vert, foncé. Un petit carré a été dégagé au rotofil, le début des plantations. Un peu de paille recouvre les pommes de terre invisibles. La réserve d’eau cimentée ressemble à une piscine ; elle est vide, grise et la végétation est en train de la reconquérir. Le ruisselet qui devait l’alimenter coule vers un petit étang qui serait poissonneux, dit-on, et il y a des tritons. Ni moutons, ni vaches, ni poules, ni lapins. Juste la fille des propriétaires, son ami et deux jeunes hommes (qui ne vivent pas ensemble). L’ensemble des bâtiments va être nettoyé, refait, modernisé. Les parents vont venir s’installer bientôt. Je me demande s’ils ont un vieux 4x4 qui serait bien utile l’hiver, ou une Volvo break et bobo. Le plancher de petites lattes est en assez bon état (chêne ou châtaigner ?). Il n’y a pas de traces de sang. L’un des deux célibataires est plutôt longiligne, pas très bronzé, un peu poète romantique ; il est assis sur une grosse pierre de taille. L’autre a les cheveux noirs et longs. Il est costaud, prêt à creuser une habitation de hobbit. Je me dis que le bar du coin va leur sembler loin. L’isolement favorisera-t-il la naissance de tensions ? Pour le moment ils sont unis par le but commun de démarrer l’exploitation. L’art et la manière se trouvent selon eux sur internet. Il leur faudra ensuite passer de la culture à la commercialisation, et se faire accepter sur les marchés, trouver les clients des « paniers » hebdomadaires ainsi qu'une place dans la vie locale. Je vais vous présenter les personnages plus en détail, expliquer comment la famille est arrivée dans la région, préciser la psychologie des caractères, noyer quelques indices pour le lecteur avisé. Bien sûr je fais le lien avec la visite de l’exposition : ce sera une histoire d’apparition dans les nuées, ou d’orage d’été…J’hésite encore un peu pour l’arme du crime mais le rotofil me tente. Etait-il dans la grange ? Est-ce possible que ce soit un accident ? Jalousie féminine ? Affaire de terroir, de territoire, ou d’héritage des templiers sur le chemin de Compostelle ? Toutes ces pistes font que j’ai encore beaucoup de travail. Les bras m’en tombent ; la terre est basse. Je vais devoir changer de titre (le supplice du Cantal, la boite des pandores ?), car je ne vois pas de mollusque apparaitre dans cette histoire. A moins de lancer un élevage d’escargots, avec une diversification « vers de terre » pour la pêche. Il y a des rivières ; il y a des hameçons, des traces de bave à ne pas confondre avec celles de limaces (autre titre : l’empreinte du gastéropode). J’ai toujours pensé que le ciel et la terre étaient une source d’inspiration riche, et d’expirations aussi, pour qui veut écrire un polar. Voltaire nous dit « cultivons notre jardin ». Voici donc mon début, et pour le moment un peu ma fin aussi. Frustrant, n’est-il pas? "Fosses confidences"? Pourquoi pas. Pascal Legrand Visiteurs : 192 Retour à l'accueil |