TROIS POINTS 2014-02-02


Dualité ou trilogie ? J’hésite souvent. Je cherche un sens là où il n’y en a pas ? Je vais vous dire ce qu’il y a dans ma tête ; comme moi, vous allez penser que tout ceci est trop en désordre, cette image d’une fenêtre un matin au réveil, l’esprit encore vagabond, un reste de brume, vent calme ; une journée dont on ne sait pas ce qu’elle sera. Pas de programme précis, juste survivre au quotidien.
J’étais dans un petit hôtel, au bord de la mer, non loin du port de commerce, et le long d’une friche industrielle ; un de ces endroits ou le bulldozer est déjà passé pour créer des gravats, laisser quelques bouts de mur –pierre, plâtre, parpaing- sans aller jusqu’à gratter la terre. Les hangars et entrepôts vides en toile de fond sont-ils en construction ou en cours de démolition ? Une touche d’humidité sur le goudron le fait luire sous les lampadaires. Ce n’est pas le lieu idéal pour la promenade du dimanche. Le cargo a quai est le seul, un peu rouillé mais pas trop.
Il y a des tons gris-marron-sépia, mais ce n’est pas une vielle photographie. Il y a plus de métal que de papier, des copeaux de ferraille agressifs tassés en sculptures de César, de grosses mâchoires de grue inquiétantes, évoquant le coton sur sa tige, à l’envers dans la nature. Je pense à Bernard Giraudeau et à ses histoires d’escales, à La Palice avec le béton des abris pour sous-marins allemands, aux quais des grumes des bassins de Rochefort. Garé un peu plus loin se trouve un vieux car de forme « aérodynamique » années cinquante, genre caravane Airstream, avec une porte latérale double dont l’aluminium a été décapé. Je verrais bien un explorateur-voyageur y habiter, mais il est vide.
Il y a longtemps déjà j’ai pris aux alentours des photos (en noir et blanc) de reflets d’eaux stagnantes, un jour de blues. J’ai vu récemment celles de Sebastiao Salgado (Génésis). Les dégradés de gris, les deux albatros, les sauvages solitudes habitées de présences animales. Sur ce port je ne vois personne, ni mouette, ni marin. Juste des signes d’activité passée ; un monde pas encore post-industriel avec des échelles, des chaines, des poutres métalliques. Les arbres sont ailleurs.
Je suis dans ma chambre d’hôtel, devant la cuvette des toilettes. Elle est moderne et munie d’un genre de pulvérisateur dont je me méfie. Va-t-il se passer quelque chose si je lève la lunette, ou si je baisse l’abattant ? Si c’est un modèle japonais de chez Toto il me semble incongru et très sophistiqué en cet endroit. Je me dis que suis juste de passage et je tire la chasse. Souvenirs, gargouillis, eau de javel, sans même les quatre saisons de Vivaldi.
Hier je traversais la baie au moteur, à 45 degrés du courant, sans vent. La grosse bouée du chenal, inclinée, traçait un sillage bien marqué. L’eau était chargée d’alluvions. Ce n’est pas un souvenir de voyage, c’est une dérive, une translation. Il faut bien aller quelque part, dans l’estuaire du Saint Laurent, dans les iles de la mer baltique, ou dans les lagunes africaines. C’est ma lande d’errance, sans bruyères et sans terriers de lapin. Mieux vaut ne pas trop zigzaguer face au courant. Pourquoi ne pas attendre la renverse ? Il faut arriver à l’heure à l’ouverture des portes du bassin. Le pont va-t-il pivoter ou se lever ? Vais- je échouer ou rester à flot ?
Je cherche l’algorithme qui va me permettre d’avancer, la percée, l’innovation. Je m’oblige à quelques moments de méditation, de pensée parallèle, mais il y a des jours ou je la trouve plutôt perpendiculaire. Je me sens obliger d’essayer d’expliquer avec des croquis, avec des mots plus précis ; ça ne marche pas toujours.
Je me retrouve alors seul devant mon café, et c’est fini.


Pascal Legrand

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