CHOIX 2012-09-13



Aussi longtemps que j’ai été un esprit fixe, c’était relativement facile. Quand j’habitais la pierre, je ne voyais pas le temps passer. Je m’érodais lentement. Puis quand j’étais arbre je regardais passer les saisons, tomber mes feuilles et fleurir mes bourgeons, mais je me gardais de bonnes racines. Quand je suis devenu léger, il a fallu me décider.

Mon état se trouve désormais en l’air ; il me faut choisir une forme de vol où habiter, avec certaines différences à prendre en considération. Je vous parle des airs et vous voyez de grands espaces bleus au-dessus des steppes ! Mais pas seulement : les chauves-souris vivent plutôt dans les cavernes sombres… C’est une option pour moi. Le seul mammifère volant. Un grand pas en avant dans une évolution personnelle. Ce sont les ailes de Léonard de Vinci, ou presque. Pourtant la plume m’attire plus que le poil et la membrane tendue, même diaphane, souple ; elle reste faite pour le clair de lune et les galeries de mine. Evidemment, l’offre inclue un système de guidage par ultra-son très sophistiqué, mais je suis prudent face aux nouvelles technologies, même s’il est évident que dans le noir l’œil diurne ne suffit pas. Les conditions de logement sont aussi à considérer. Il y a beaucoup de monde pendu la tête à l’envers. Je me demande si cela va me plaire, avec les horaires décalés, l’allaitement, l’hibernation. C’est la vie au ralenti, presque le retour au végétal !

Comme je l’ai dit jusqu’à maintenant, j’étais plutôt orienté vers l’extérieur, la lumière, l’eau courante des rivières. J’ai peur du grand groupe social.

J’ai été pierre dans une rivière et je voyais passer régulièrement un cingle plongeur, petit oiseau au ventre bleu qui aime bien l’eau. Je le trouve joueur quand il va à la pêche aux petits crustacés. J’aime les bords de rivière ; on y voit passer des pêcheurs avec leur attirail ; il y a des jonquilles. C’est Renoir et les guinguettes, la vie à la campagne avec des nourritures saines.

Dans le même environnement, je peux faire libellule. C’est un tout autre vol. Pas question d’aller sous l’eau. Des battements d’ailes en vol stationnaire qui valent ceux du colibri. Il y a une fascination pour ce vol qui semble se figer, ces couleurs fluorescentes, ces yeux d’insecte à facettes qui voient une réalité sous tant de nouveaux angles. Tout cela est fragile malgré tout, avec la pollution des rivières.

Je voudrais des perspectives d’avenir solides. J’ai un peu peur de l’image de l’hélicoptère depuis le film « Apocalypse Now ». Aujourd’hui leurs vols sur le dos, leurs loopings, ne me semblent pas naturels. Je souhaite garder mon équilibre et je ne suis pas certain d’avoir un gyroscope fourni (en option ?). N’est-ce pas trop complexe pour moi, et vaguement incertain…

L’image du vol, c’est aussi le rapace.
Je choisis le balbuzard pécheur, pour rester non loin d’un rivage. L’oiseau est migrateur. Je verrai du pays et passerai l’hiver au chaud. Il plane bien mais peu s’immobiliser au-dessus de sa proie. Ses serres s’opposent pour attraper le poisson… intéressant ; certes, Il n’a pas la majesté du condor ou de l’aigle royal ; mais les pêcheurs ont bonne réputation dans la mythologie humaine ; ce sont des gens sensés qui ont le sens de la mesure. Oui, le faucon pèlerin est plus rapide, et le troglodyte plus mignon. Je trouve le martin-pêcheur un peu petit et un peu trop voyant, le pigeon trop voyageur (trop PTT), la pie indubitablement bavarde. Goélands et vautours ont des menus qui ne me tentent pas.

Il me reste de nombreuses possibilités à considérer (plutôt cormoran que corbeau – le noir me va si bien) ; je suis dans une phase de mutation. De toute évidence le sterne vole plus élégamment que le canard, fût-il tadorne. Je veux un minium de performance, c’est dans ma culture. Je découvre que je ne sais pas tout du grimpereau, du traquet motteux, de l’accenteur. Sans parler des techniques de vol des insectes, ou de ces images d’animaux volants, pégases et griffons.

Je ne sais pas si c’est le cas de tout le monde, mais j’ai un peu peur du vide. Je m’interroge encore. Quand j’étais pierre, je tombais, mais une fois arrivé, la position était relativement stable et sûre. Avec cette idée de vol, je subis l’attraction du vide ; l’angoisse du décollage se dresse devant moi. Même les albatros ont du mal à courir (pas question que je fréquente les quarantièmes rugissants). En fait, je dis que le végétal n’est pas si mal, et bien plus varié que le minéral au niveau du vécu. J’ai besoin d’un ancrage face à ces grands espaces, ces steppes qui se déroulent à l’infini. Il me faut le gazouillis du ruisseau, les bulles d’air de la tourbière. Tout en haut, je sens le froid je vois ce bleu intense qui devient violet dans le lointain. Est-ce là-bas que je vais aller me perdre ?

Devenir un esprit de l’air n’est pas chose facile. Je vois qu’il y a de l’apprentissage. Et toujours cette liberté du choix à faire, en connaissance de cause. Alors que nous savons bien que tout ceci n’est qu’un état transitoire.
« Je vous rappelle bientôt ».


Pascal Legrand

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