RETOUR DANS L’ATMOSPHERE 2012-07-12




I Prologue confus

Le plus simple pour raconter cette histoire serait de demander à un conteur de le faire. C’est toujours mieux d’avoir affaire à un professionnel. J’ai seulement peur que si je ne lui dis pas tout, il va inventer pour boucher les trous, parce qu’il y a forcément des trous ; il va en rajouter pour embellir ou en retrancher pour noircir le tableau.
C’est plus simple de laisser les choses en l’état. Je vous les dis comme je les vois ; je connais bien les problèmes. Vu de l’intérieur, je vois bien l’intérieur (de l’histoire) ; j’espère qu’à la fin, j’aurais aussi une vision d’ensemble. C’est ma technique à moi pour agrandir ma vision du monde.

Il n’y a pas d’ordre dans ce monde au-delà des apparences. Il ne s’agit que de changement.

L’important étant quand, comment, et pourquoi a-t-elle enlevé ses vêtements ?

Elle voulait se changer, mouillée par l’averse sur le chemin du retour, en vélo, lors de ce week-end à la campagne, en Creuse.
- J’ai un peu oublié ? Les a-t-elle enlevés de façon délibérée, détachée, genre cela va de soi, nous sommes adultes, je suis nue devant toi ? Aurais-tu préféré mettre la main à la pâte pour un lent effeuillage de strip-tease, bouton par bouton ; un voile léger d’odalisque se lève derrière les persiennes pour un regard curieux, déjà prêt à faire durer le plaisir ?
- Je crois que je vais prendre les deux formules en fonction des jours et des circonstances (mettez moi aussi le pourquoi du comment) ;
Pas vraiment possible. Le pourquoi, c’est toujours l’autre, ce que tu ne comprends pas. Pour toi, c’est un peu plus clair. Tu as tes raisons, même si tu te trompes. Pourquoi l’éléphant a-t-il une trompe ? Et pourquoi l’éléphant ? Tout simplement.
- Ça risque d’être long, si c’est une fourmi qui chatouille la trompe. L’ingéniosité va devoir aider le muscle pour provoquer l’érection.
Nous nous égarons. La vie sexuelle des animaux n’est pas mon propos.

Même si cela crée une tension dans la narration. Une tension avec un clin d’œil. Pas facile, car s’il y a humour, il a détente. Lorsqu’un gaz se détend, il se refroidit. C’est cela. Oui. Ce sont les sentiments qui nous réchauffent le cœur ; c’est pourquoi nous les compressons dans un petit espace.

Dans une cave avec une ampoule sans abat-jour, pendant à un fil électrique étrangement long ? Avec un sol en terre battue pour enterrer le cadavre ? Où dans une cave en parpaings de HLM de banlieue, où dans un immeuble de luxe sur la côte ? Ce sont des histoires différentes. Au départ, il est difficile de savoir si elles vont se rejoindre. Catacombes ?

Je tisse les fils de mon destin. Je prends lieux et personnages, je touille, je fais mon mélange. C’est de la cuisine, au pilon/mortier d’abord, pour bien réduire tous les ingrédients en poudre afin d’obtenir la structure fine et homogène du produit final.

Le grumeau n’est ni très goûteux ni très décoratif. C’est le grain de beauté et son cancer dedans. La mort guette, invisible derrière un rideau de beauté, légèrement transparent seulement dans le soleil. Du dramatique et du romantique. Elle est à contre-jour.

Gros plan sur sa peau. Douce. Mille fois plus que la dune et ses courbes. Le sable, c’est pour le papier de verre, frotté, chauffé. Même avec la chair de poule, sortant de l’eau, cette peau glisse comme du téflon. Ça ne fait pas dans la poésie, mais c’est le meilleur coefficient de friction. Moins y a de friction, plus ça glisse.

C’est pour cela qu’il faut frotter fort pour se laver et se sécher. Avec du savon. Et aussi sur les carreaux du carrelage. Attention.

Je ne suis pas certain d’avoir progressé. Sait-on ce qui va se passer ensuite ?

Justement, pas tout à fait. C’est le ressort qu’on compresse.

Toutes ces compressions vont finir en explosions. Quatre temps ou deux temps ? Admission, compression, explosion et échappement, c’est bien ça ? Un deux temps fait-il exploser des gaz qui n’ont pas été compressés ?
Tu sais que je commence à trouver tes questions un peu lancinantes : enfin, tu vois ce que je veux dire. Que tu arrêtes un peu de me brancher tout le temps. Je n’ai même pas encore commencé que tu me gonfles avec tes problèmes de moteur.

Ouais. Gonfler, c’est pareil. Compression. Détente. Il faut juste une bonne valve. Une valve c’est une soupape de sûreté. Elle permet à l’air de s’échapper.

Beaucoup de choses s’échappent. Beaucoup de choses t’échappent. Le pneu déchape. Accident. Chape de plomb qui pèse sur la ville. Tout va très vite en même temps, ailleurs. Montage parallèle ? Grâce au visuel, c’est plus facile qu’avec des mots, pas nouveau. Je m’essouffle. Petite pause.


Des fois, je me dis que ce n’est jamais facile. J’ai remarqué que je ne suis pas le seul à le dire. Si vous avez des difficultés ne soyez pas surpris. Nous sommes solidaires. Militons pour que la transparence soit claire.

II Triangle

Tout se passe dans un triangle. C’est précis et pointu.

Le plus haut point est aussi le plus isolé. 694 m d’altitude dans les monts de Saint Goussaud. Je n’ai jamais dit que c’était l’Himalaya. Au puy de Jouer (je prononcerais jou-ère) vous trouverez à 500 m de la route goudronnée, au bout d’un chemin de vieux granit qui n’est pas exactement la via Appia, indiqué par un panneau du Touring Club de France bleu émaillé des années 1930, un amphithéâtre romain au milieu des sapins. Vous ne trouverez pas le temple de Jupiter (qui a donné Jouer), car le temps, les outrages, les feuilles, …

C’est un théâtre de poche. Pas de lions, ni de gladiateurs. Plutôt pour du Ionesco (la cantatrice chauve bien sûr). C’est un théâtre intime. Aucune allusion même si il y a rime avec lutine. J’étais tout seul. Mais maintenant que vous le dites, je vais peut-être voir.

Non loin de ce passé abandonné se dresse, assez phalliquement, la tour relais des transmissions forcément importantes, avec ses grilles à barbecue et ses plats diaboliques. Nous sommes toujours à St Goussaud. Ces points élevés symbolisent l’Autorité, passée (Rome et l’empire) et future : high-tech control de l’environnement et des ondes.
J’aime bien expliquer directement. Comme ça je suis presque sûr d’être compris.

Pour qui douterait de mes indications une carte Michelin numéro 22 ou une IGN 41, permettra de suivre encore mieux. Je donne les deux références car il y a des gens qui ont leurs habitudes et leurs préférences.



La deuxième pointe du triangle se situe à La Jonchère: son église (porche du XVème), sa gare, son arboretum, son hôpital un peu psychiatrique. La ville détruite par le prince noir est devenue un gros village agréable. Aucun décombre ne marque le « chemin de la trahison » emprunté par les anglais avec leurs chevaux aux sabots recouverts de chiffons. Malins ou perfides ?

Paix et prospérité. Les plaques ovales remportées aux concours agricoles ornent les murs des fermes.

La légende veut que certains cheminots, assurant l’entretien de la voie, s’arrêtent pour aller en boire un petit au bar, sans couper le moteur de la locomotive bien sûr.

Nous avons là un exemple de l’Histoire, qui efface ses traces, de la folie humaine, tumulte, bruit et fureur qui passent, s’arrêtent parfois, puis vont voir plus loin. L’intelligence humaine s’y matérialise sous diverses formes.





« Grand Chaud » n’est pas l’enfer, mais la 3ème pointe du triangle, plus précisément le « bar des chasseurs ». On y cause. C’est le présent, l’échange, la création.
Une dame plutôt âgée, style grand-mère portant un châle et des chaussons, officie derrière le comptoir. La pièce est petite,cheminée, porte ouverte sur la cuisine, escalier, sol carrelé, une seule fenêtre, 3 choix de bières, quelques bouteilles de soda un peu poussiéreuses sur une étagère. Pas grand monde en général. Bois, briques et formica. Mieux vaut allez faire fortune ailleurs. Juste en face habite un sculpteur de pierre (Pierre) avec dans son jardin un genre de totem hélicoïdal qui ne doit pas être une représentation de l’ADN. Une tour de Babel ?.
La doctoresse Chlorine, sa voisine est partie en Afrique pour quelque temps, retour aux origines de l’homme oblige. Il se trouve qu’elle a eu l’occasion de me soigner, douceur féminine qui passe, mystère du transfert du patient. Souvenir d’autres vies si fugitives au pays des hommes de bonne volonté. Ne voyez aucune implication religieuse dans cette remarque. Il y aussi quelques chasseurs dont la subtilité m’échappe ; il faut de tout pour faire un monde. C’est un petit monde, et le monde est petit. On s’y retrouve pour l’apéritif.

XXX

Triangle : 3 pointes. Plus importantes que les coordonnées géographiques ou la mesure des distances. 3 lieux bien réels. Je m’appuie sur le connu. Je délimite mon territoire. Pour me rendre compte aussitôt que je n’en suis pas le maître. Pour commencer, il apparaît arbitraire et virtuel : je ne vois pas de tracé sur le terrain ( je ne crois que ce que je vois, en bon mécréant). Je peux toujours tracer sur la carte et discuter de l’épaisseur du trait de crayon. La précision de ma définition est vouée à l’échec. Je dois chercher la vérité ailleurs. Mais le triangle st là. « Because, it is there », comme pour l’Everest, en moins haut quand même.

C’est tout comme ma vie : points de repères, défis, et un espace flou où je me cherche entre les forêts et les sources ; je rencontre plus de chercheurs de champignons que de capitaines d’industrie en manœuvre. Je suis relativement satisfait malgré tout car c’est moi qui ai défini mon aire de jeu. Je m’y sens comme un aigle qui contrôle son territoire. Impression illusoire. Tout de même, je m’envole quand je veux.

Il me reste beaucoup à faire pour aménager l’espace. Je bricole mal et lentement. Il me faudrait une piste d’atterrissage pour poser mes idées. Je devrais savoir calculer le carré de l’hypoténuse. Ça peut servir, pour étayer mes théories ; on a toujours des théories, au moins devant le comptoir.

J’hésite entre le père, le fils et le St Esprit. Ou, Papa, Maman (sans la bonne) et moi. Ou Monsieur, Madame, et la bonne ; du classique à la Feydeau ; l’autorité, l’histoire, le présent, avec quelques notions associées, cela se tient. On voit bien que le triangle est une formule à succès. Je lance mon triangle comme un boomerang. Pour voir s’il a la bonne portance, si j’ai bien poncé les profils. Il faut juger de l’angle du lancer en fonction du vent, irrégulier bien souvent.
C’est pas gagné d’avance de le rattraper.

Je cherche mes racines aborigènes et aériennes, comme les palétuviers, qui pourtant poussent dans l’eau. Pays de l’eau certes, mais pas le même climat. Faulkner avait aussi son comté imaginaire aux contours imprécis, mais solidement ancré au Sud. On n’échappe pas à la géographie, même lorsqu’on se retrouve aux pôles. Il parait néanmoins que les extrêmes se rapprochent.

Je me sens quant à moi bien au milieu du cadre, à égale distance de Dieu, de la folie des hommes ou de leur génie. Le problème est que d’avoir défini ce cadre crée une certaine distanciation, je suis toujours au milieu mais je me demande si je suis dedans ou pas. En trois dimensions je pourrais être dessus ou dessous. Avec un monde parallèle, ce serait encore plus simple, mais en fait je préfère éviter les mondes parallèles. Je finis toujours par avoir des problèmes aux intersections. J’ai encore des points faibles en géométrie et suffisamment de problèmes avec le triangle à plat.

Pour ne pas être trop abstrait, je joins la photographie du bar. On visualise mieux. Surtout le flou. Je ne me reconnais pas tellement. Ça doit être la lumière. Sans parler du tirage. Il y a des pixels qui se sont échappés. Mais j’aime bien les couleurs indéfinies, bien vraies, bien réelles, pas vraiment rouges, pas réellement bleues. Usées. Transformées. Des couleurs de peintres. Représentation et tableau. Cadre.



Cadrage bien sûr. Je joins deux photos. Une avec le goulot de la bouteille de bière qui dépasse, et l’autre où la bouteille d’eau attire l’œil sur le bar. L’inspecteur pourrait en tirer des conclusions. Mais il devra être très prudent. Qui buvait la bière ? Ai-je pris la photo au retardateur ? Quelle valeur accorder au témoignage de la « Barmaid » ?






Au dehors résonnent les explosions des désoucheurs ; au sucre, à la soude, à la poudre blanche en tout cas, placez dans un trou, tapez un grand coup, et boum. La souche explose comme un éclat d’obus. Gare aux shrapnels. Il reste toujours beaucoup de souches après la tempête. Il y a toujours des explosions à la campagne. Un coup de feu de plus ou de moins. Du moment que c’est pendant la période de chasse, comment voulez-vous que quelqu’un le remarque.Un cadavre dans les bois.

Je ne bois que l’eau de la fontaine St Martial car elle favorise l’acquisition du langage et la longévité. C’est sur le prospectus. Peut-être que mieux je maîtrise la langue, plus je vis vieux. Pourtant l’age c’est plutôt le radotage à l’asile. L’alcool régule le débit de la parole. Je suis assez silencieux. Je ne bois pas. Donc quand je vois des choses, elles doivent correspondre à une certaine réalité. Si les éléphants sont roses, c’est qu’ils ont été peints. Par qui ? Par Kinson ? Je crois qu’il aurait du mal à tenir un pinceau, à plus forte raison un revolver.

Avant d’avoir des soupçons, il est préférable d’examiner le cadavre. Il faut le retrouver. L’emplacement fut marqué, mais la stèle a été déplacée. C’était un monument celtique et funéraire. Il a été mis à l’abri des intempéries dans le porche de l’église (du XIIème en partie. Nous mélangeons les époques).

Cette stèle était dédiée à Epona, déesse de l’abondance. Elle est morte. On ignore comment. Mars (le dieu) serait impliqué de même qu’Apollon, qu’on surnommait Paulo, voire même Paulo la colique ; déformation de « l’alcoolique » ou allusion aux traces laissées sur son passage, qui sait ? La mémoire d’Estelle est victime de l’érosion. Elle a vu trois femmes qu’elle ne pourrait reconnaître.
Je me serais attendu à les voir blanche, jaune et noire, mais elles ne sont que de granit monochrome. Elles sont trois mais ce n’est pas un triptyque. La guerre, Athéna et la beauté ? Vénus ont tué l’abondance, mais c’est de la vieille histoire et tout le monde s’en fout. Hélène, la guerre de Troie, Charles Martel à Poitiers, les bêtises à Cambrai. Tout redevient poussière. C’est dans la bible. Mais avant la Bible, avant Gutenberg et la bombe Plizz, il y avait déjà des mots, et les chercheurs de mots et de mystères.

DGM

Dans mon triangle, il y a une école déguisée en colonie de vacances. C’est un camp d’entraînement pour la zone M. Il y a des réseaux de petits châteaux dans la région, qui ont de grandes granges et qui communiquent. J’y ai vu chevaucher des africaines aux cheveux crépus, et un rasta avec ses dreadlocks. Il y a des ogives callipyges, de la tresse et de la détresse, des langoustes langoureuses. J’exagère pour les langoustes. Juste du colin-maillard. Il n’y a pas de petits hommes verts. Dieu est mort.

Mais saurons nous jamais ce qui s’est passé ? Dans les triangles beaucoup de choses se perdent et la vérité n’est pas la dernière à demander son chemin.

C’est presque par hasard que j’ai rencontré Diégo Garcia Marcel, l’auteur de « J’erre vers les loges des bergers », livre phare du mouvement littéraire connu sous le nom de nostalgie pathétique ; premièrement, parce qu’il regrette de voir disparaître les traditions, deuxièmement parce qu’il reconnaît qu’elles sont figées, indésirables : si j’ajoute que DGM est contre le culte de l’innovation, on comprend qu’il ait du mal à exprimer toutes ses contradictions. C’est bien sûr ce qui fait l’intérêt de son œuvre, mis à part le coté érotique de l’éloge des bergères.

Je l’ai croisé qui marchait le long d’un grand étang (un petit lac quasiment) dans les eaux duquel se reflétait un pavillon de pêche, architecturalement entre la tonnelle, le kiosque à musique et la gloriette. Il date du temps de la prospérité industrielle de cette région. DGM dit volontiers que « les riches avaient plus de goût à l’époque, voyez ce qu’ils font de leur argent de nos jours ». Pas moyen de savoir s’il parle sérieusement ou non. Peut-être aurait-il voulu être encore plus riche, pour s’acheter son propre hangar à bateau au bord de l’eau. Ici, l’originalité réside dans les tuiles vernissées qui s’harmonisent aux couleurs de l’automne et font vibrer l’été. L’hiver est plus subtil, le printemps fait vivre ces images de luxe simple, un passé suranné de pique-niques au bord de l’eau dans les tableaux impressionnistes, canotiers musclés, barques effilées, cordages, bronze, laiton et dame de nage. On peut ajouter l’exotisme oriental à la Loti au fond du parc du manoir.







Pour moi, cela fait partie du patrimoine autant que du souvenir. DGM se remémore son enfance à l’occasion de ses rêveries de promeneur en contemplant les eaux dormantes dont il faut se méfier. Les poissons carnivores rodent, le monstre antique survit dans la vase en attendant le moment propice pour nous dévorer. Etonnante imagination ! Particulièrement pour l’eau et les rêves. DGM me dit que nous voulons échapper aux chiffres et au quotidien « la date, quelle horreur, ne vaut-il pas mieux regarder le temps qu’il fait ». A côté de cela, il est plutôt à cheval sur l’heure des rendez-vous, les horaires en général. Je trouve aussi qu’il faut un minimum d’organisation.

Nous parlons ainsi, au plaisir des rencontres, face au miroir de l’eau, notre glace à briser pour échanger quelques idées. Nous parlons de folie, de fanatisme, de fourberie, avant de remonter sur scène jouer notre rôle dans la représentation, en se demandant où est l’entrée des artistes. « Vue la tête des acteurs qui nous entourent, je crois que je me sentirais mieux sur les vraies planches ; les visages et les masques paraissent plus beaux, plus vrais ».
« Mieux vaut nager dans l’illusion que se noyer dans la réalité ». Quelqu’un a dû dire cela un jour.
Vertige d’oppression
Folie de l’homme, animal social.
Mystère de la création

« On a beau en parler, il est difficile de se situer dans le triangle » me dit-il, « car il faut d’abord définir le triangle. Et passées les bornes, il n’y a plus de limites ».

Nous avons quelques fois des dialogues peu clairs, dans lesquels je finis par me perdre. Mais il faut bien se perdre pour se retrouver un peu.

DGM lit beaucoup. Parfois, il me photocopie quelques pages qu’il trouve intéressantes, extraites des littératures du monde entier, pour me faire voyager. Il doit penser que je peux étendre ma culture si toutefois, il reste de la place sur ma tartine. L’autre jour, il m’a donné ce texte en anglais. Si la langue de Shakespeare vous rebute vous pouvez tourner ces pages d’un index habile. Il n’y aura pas de conséquences. J’ai moi-même oublié le titre de l’ouvrage et le nom de l’auteur. Je ne m’en porte pas plus mal.


LONG TIME NO SEE


We had met before. At one point she had done temporary work for the firm I worked with. May be we even had dinner together with other colleagues. I don’t remember every single thing. Water under the bridge. Sam, the pianist in “Casablanca” says “a lot of water under the bridge” to Ingrid Bergman. I did not say anything;

We met again. By chance. Had a drink. Talked about old times, old friends; what hat happened in between. We had not been very close before, but now it felt we had a common past, shared memories. I was asking myself what I had thought of her back then and I did not remember.

She had long thighs and dressed in a rather conservative style. She said she was looking for a job. She lived in town, top floor, two rooms above a bar, in a street where you could find hookers at night, across from the primary school, near the local theater and the social security building. She did not give me the address

I liked her round face and her cheeky smile. She had a lively look in her eyes, with curiosity but no provocation. She told me she had had problems with her retina and could have ended up blind. Difficult surgery. Strangely I had noticed a few red blood vessels in the corner of her eyes. I was asking myself about that because it had not been a bright sunny day and it was almost night. Still, it was nothing really unusual.

Her brother had been in hospital for several months. She had to go back home to help her parents who were no longer able to cope on their own. During that period she got closer to her brother than she had ever been before, sharing his worries for this health and his life. It was a severe disease. She probably told me exactly what it was. I am a little disturbed at the thought of not remembering. I was paying attention. I was somewhat flattered for being told something I considered rather personal.
I was also wondering if I should be flattered. Was it just for me, or would she tell anybody in similar circumstances? Did I want my special treatment? Was I just a good listener? I guess I was just taking in the information for further processing and treatment. No hurry. Just something a little out of the ordinary indifference that surrounds us most of the time. A few moments you really spend with somebody to talk to. Human warmth. Sharing.
Being a Christian helped her go though these years. I did not comment but was glad for her, glad to see that god can be of some use, other than to justify war or win tennis matches and the like. Being religious on the whole did not seen to me to make life easier for most people, but I know I am prejudiced; I like Voltaire better than Allah, however great he is, because being rather “little” I feel I can connect to Voltaire more easily.
But. Freedom of religion. Freedom of opinion.
It seemed she had not found the man who was to be the father of her child (or children) ; it was hard for her to think of life without being a mother. Fortunately, I had said a little before that I considered not having any children one of my achievements, as much for practical reasons as for philosophical ones : I cannot say that I am proud of myself, but at least I know what I want, and I got used to taking the flak. My skills have been honed and sharpened. Today I even manage to simply evade a fight. Fly fast and low. The radars can’t see me. They call it stealth.

But I don’t dislike mothers to be. I must say I thought that being in her mid-thirties, she had better not wait too long. At the same time, I felt sorry for being so mean, common sense, down to earth. Whatever. There were a number of things I did not say, for a variety of reasons. I did not want to be nasty; I did not want to argue. Just nice words; I was wondering whether I was a nice fellow or a mean son of a bitch. I am nice. I was also wondering about what she might have kept to herself. What would be the picture she would paint of me? Still young, though over the hill. Which one comes first? Does it matter? I am probably a more balanced person than she is, so I know where I stand. That must be an advantage in many situations. I don’t let the flow sweep me away. I like battling against the current, as long as you can rest from time to time. There is action. I know you can’t beat nature or gravity, but you sure can play. Rowing upstream: that is my view of “Man must endure”. You watch your past when you watch your wake. Sometimes it is good to turn around and paddle, not forgetting to watch your back. I hope I am not making it too difficult to follow.

It is really simple in fact. There are several ways of getting ahead; and a lot depends on the strength of the current, and on your navigation skills. It is fortunate we have all these images available to try to explain our ideas; the body language of the mind. I wish I could read the signs more clearly.

The bar was a quiet place. No juke box, no Saturday night drunks. Tiffany’s lamps and bistro style. Bohemian chic rather than bourgeois chic, but it is a thin line no doubt. Did I choose this kind of place on purpose? I mean just to talk, not to flirt. Who needs to talk?

Do we really want other people to understand? Understand what? Us? Our desires? Our fears? Of life or death? Solitude? Agoraphobia? God knows what. Let us keep god out of this. He is everywhere, anyway, so why worry? I am here and now, and I can think of at least one other place where I’d like it fine. As they say in war reports “too early to tell” : can’t give you any more details on this. I don’t know anything yet.
- Yet? Did I say yet? No I don’t have any battle plan. But I’ve heard about strategy and logistics: the amateurs only think strategy.
It is a sign of the times that our human relationships are often seen as war games. Nothing new: you can go back to Roman gods. The Mars and Venus problems. Check out the Greeks. I prefer the “carte du tendre” :



Exploring does not mean conquering. I came to liberate you from the oppressors, from the tyranny of all evil. I came to make you come with me, to take a look at the river, over the bridge. Wait. I should rephrase that. Deep waters. But still. It is easy to get mixed up, particularly looking into your eyes. After surgery. Well. Being awkward again.

She had a long coat, thick cloth, the kind worn by stars in film festivals in winter; heavy and not easy to ride with on a bicycle. Designed for horse riding may be. I am more like the flight jacket type, for practical reasons. I like long legs pointing out of a long coat, with stockings. Influence of advertising, idea of luxury. We are all victims. Sugar coated. Lick it and love it. Spicy. Peppered. It wakes up your taste buds. It would be a good reason to stop smoking. You enjoy food more. Full flavor. Full power. The other day, I dreamt I was putting my hand under the hood, a plastic one, to check the ignition while I was driving. Then there was a crack and a spark in this new material, a composite. It was fortunate there was no accident. I have this video tape on plastic molding for the car industry, showing how efficient it is for a niche market. I wonder if the coat made me think of this. In a way it is both for protection, and to be noticed. Rev up the engine. Honk. Honk.
I was getting lost in images and body language. I was trying to understand everything. But everything was coded. There was a touch of mystery. I like acting like a detective; I did not solve many cases. Human beings are complex. Women even more so. This is what I heard once : When I lived in the country they would spread fields with liquid manure in spring. It stinks. So my “petite Madeleine” smells like horse shit or cow dung. Proustian memories. Delicate and refined. The cherry blossom and the flowers of the almond trees. My spring will come. Private symbolism. No trespassing.

Sometimes communication can be difficult when we think of the same things in different ways. For different things we have another problem.
But if a deaf composer can play, surely a short sighted painter can paint.
When I think of her now her face fades in and out, other friendly faces appear, similar ones ; I get mixed up. De Quincey in his opium dreams, sort of. It is not a question of a bad memory. More like a painter brushing his strokes on his portrait; one detail after another, he discovers something else, and so on, and there comes a time when you have to decide to stop. You are hungry, lack of paint. You think you can come back to it, but the vision is no longer the same. You do not start from the same base. This creation process is like a miracle, hard to explain, and hard work too. Nothing ever succeeds the first time, they say. Can you even say you succeed? Period. That would be marvelous. Excuse me I have this life going on. Not quite done yet.
Dinner will wait in the micro-wave. Hope it won’t spoil the taste.

I was really glad to talk to you. Was I attracted to you ? A “pot-pourri” of feelings. A jam-session of feelings. That sounds better. Not love. We know it can’t have been that.

You said it was not a good idea to have people who are mirror images in a couple. I can understand. It was more like a conundrum, a snapshot you find in a drawer, a few years later. Life is made of moments like that. Mystery begins at home and goes on anywhere.
I gave her a lift on my way back. “




Je ne suis pas certain d’avoir tout compris. Il me manque quelques mots. Où l’auteur veut-il en venir ? Finalement, a-t-on besoin d’aller quelque part ? L’animal marque son territoire et si le manque de nourriture ne le contraint pas à le quitter, il y reste. Je pense avoir placé des bornes. Une autre perspective, une culture différente, savoir ce qu’il y a au-delà de l’horizon ; voilà où l’homme est différent de la bête. Nous avons déjà du mal à nous comprendre dans notre langue, alors à quoi bon les langues étrangères ? Pour leur étrangeté ? L’homme n’est-il pas le même partout sur la planète ?

Quand DGM m’entraîne dans des réflexions de ce type, je décroche rapidement. C’est fatiguant de se poser trop de questions.

Prenez le triangle par une pointe ou par une autre, faites le tourner, si c’est possible. Il semble différent. En le pivotant dans un autre axe, il perd sa surface. Il ne reste plus qu’une ligne droite, qui reste quand même le plus court chemin d’un point à un autre. Du début à la fin. Justement c’est maintenant.

« Aunque sepa los caminos, nunca llegare a Cordoba » Garcia Lorca


Pascal Legrand

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