MISE EN ABIME 2012-06-03



- « Attends Marcel, tu as vu comme ils sont habillés ? Ça sent l’inter-mondialiste et la cire d’abeille !
- Possible, j’ai entendu parler d’une manif pour la réduction de l’empreinte carbone dans le hall 4, celui pour les vols sur la méditerranée.
- Moi, les histoires d’économie et d’écologie, je mélange et ça me passe au-dessus de la tête. C’est comme les avions.
- Oui mais, je te le dis, mon petit Georges, tu as moins de chance d’être détourné en conduisant des chariots à bagages.
- Tu crois que les autres nous auraient fait un gag ? Y nous auraient mis des mannequins juste pour nous faire flipper ? Ils ont l’air trop vrais pourtant, comme s’ils venaient de tomber.
- Pas possible. Pas de passage de drones récemment. Ils n’ont pas l’air de terroristes, si tu veux mon avis. Mais ça sent l’embrouille. Le vieux là a un peu une tête d’allumé ; il est habillé à aller se faire voir chez les grecs, et en ce moment c’est pas le moment.
- Bon alors, on les mets à la douane ou derrière les toilettes ?
- Derrière les toilettes, et on verra plus tard ».

C’est ainsi que Dédale et Icare furent accueillis dans le hangar de l’aérogare international de Gimont en Gers, capitale aéronautique du Sud Ouest européen.

En se réveillant, ils trouvèrent les choses bien changées par rapport à l’antiquité, car ils étaient derrière les toilettes, et ils y avait une odeur. De détergent industriel, mêlée à celle du kérosène, qu’ils ne connaissaient pas. Ils étaient groggy. Normal.

- « Papa, papa, j’ai des plumes dans les narines.
- Je sais mon fils, tu as un édredon.
- Papa, arrête un peu, je crois qu’on est dans un truc bizarre.
- Ouais, c’est le trou du continum spatio-temporel. Je suis déjà tombé dedans une fois. Ça craint. Prends tes sandales, il faut qu’on parte illico (ce qui en greco-latin veut dire toute de suite).
- Papa, papa, tu m’achèteras des Nikes ?

Comme tous les jeunes le petit Icare s’adaptait vite. Mais son père était quand même un peu perturbé. Vu ce qu’il avait devant lui, c’était un peu compréhensible. Alimenté par quelques coursives transparentes un A380-bis venait de se remplir de 666 passagers, et il l’avait vu décoller, ce qui paraissait improbable et bruyant.

Revenu à leurs esprits, ils eurent la présence d’esprit de se vêtir de salopettes du personnel d’entretien trouvées dans le placard des toilettes, afin de passer inaperçu, ce qui avec Vigipirate n’était pas superflu.

Ces trucs en l’air en forme d’oiseau, ça me dit quelque chose pensait Dédale. Allons à la librairie voir si je trouve des informations. Il y avait moins de livres, mais plus de tablettes, tactiles de surcroît et comme les assitants étaient vraiment aimables, serviables et compétents, comme tous les informaticiens, Dédale n’eut aucun mal à trouver des renseignements sur son histoire. Sauf qu’elle n’était pas très précise, avec ces histoires de labyrinthes, de vache, et de chute. Et en plus, ce n’était même plus son mythe.
« Non de non, je fais 1400 km en vol et tout ce qu’on retiens, c’est que toi, mon fils, tu as fait l’imbécile et pris un bain. Ah, la vache ! »

en fait, il en voulait surtout au Minotaure, surtout que ces effigies de taureau sur les collines espagnoles, ça l’avait énervé un peu.

- Mais, Papa, tu sais bien qu’il faut faire place à la jeune génération. Ces saucisses métalliques volantes me semblent pas hériter de très près de tes travaux, mais quand même, portance, traînée, ascendance, turbulences…. Tu as fait décoller les problèmes. Dommage pour moi qu’il ait fallu attendre Léonardo pour le parachute. Mais, c’est bon pour le mythe. On va se faire un paquet de royalties. Icare tourne un max ! Zeus lui-même fait pas mieux !

- Parle pour toi mon fils. Tel César, je suis déçu. De ce qui m’entoure aujourd’hui sur cet aéroport, je ne me sens pas le père, hormis peut-être pour ces images (virtuelles ?) d’hommes-oiseaux, -Ce Jeb Corliss par exemple- qui avec leurs combinaisons volent au ras des rochers, mais vers le bas seulement. la gravité l’emporte. Ou alors, ces deltaplanes, ces parapentes voire ces planeurs, où je retrouve l’oiseau et les rémiges, le rêve, les distances à parcourir, les hauts et les points bas, les montagnes à franchir. Sans parler des troisièmes mi-temps, qui m’ont l’air plus animées que le bar du Sofitel où s’encanaillent les co-pilotes et les hôtesses en uniforme. Le vol n’est plus ce qu’il était. Plus besoin de battre des ailes ou de planer. Tu peux traverser la Manche avec de petits réacteurs bien placés, comme Yves Rossy, encore que lui pilote avec son corps. C’est le contrôle aérodynamique par les ailerons ou par gauchissement qui a changé tout. Le déplacement du poids, c’est une affaire d’homme (et de femme bien sûr – non mais). Des branleurs de manches, voilà ce qu’ils sont devenus, et je suis un vieux con, je sais. Mais toi, tu n’es pas le petit prince non plus. Tu ne sais même pas dessiner les moutons, alors sans moi, tu serais toujours à chercher la sortie, car à l’époque, pas de compas gyroscopique, de Gonio ni de GPS ! Juste les 5 sens et tes petits bras, de gringalet. Je reconnais que tu as bien enroulé l’ascendance. Mais, au-delà du plafond, tu as vite la tête dans les tuiles. Et ensuite, c’est vite la vache – mauvais souvenir. Quand je pense, que j’ai créé la vache, mère du Minotaure, pour me retrouver ensuite prisonnier de mon propre labyrinthe.
- Papa, papa, ça veut dire quoi « va te faire voir chez les grecs ?
- C’est une façon de parler. Je t’expliquerai. Les Crétois sont un peu susceptibles avec toutes les histoires de Minos, et de Minestrones. J’ai fini par le mettre dans l’eau bouillante. Il était rouge comme un homard m’a tué. »

On sentait bien que Dédale fatiguait et qu’il mélangeait un peu les ingrédients. Mais le petit Icare semblait assez à son aise pour son premier séjour spatio temporel.

La vendeuse de la librairie le surveillait du coin de l’œil. Ces gamins en salopette trifouillent partout, et son père n’avait pas l’air bien malin à consulter les tablettes si minces et Nokia malgré tout. Ça l’avait empêché de finir le recueil qu’elle avait pris au hasard ans le rayon poésie, avec en couverture un tableau de Charles Landon (1799) où l’on voit Dédale qui pousse délicatement son fils aux ailes blanches (et légères) vers une mer azur. Il y avait dans le recueil un poème de WH Aduen « musée des beaux arts » parlant du tableau de Bruehgel ; « La chute d’Icare » où le laboureur entend peut-être le plouf, mais ça n’a rien d’important, où le beau navire a du le voir tomber, l’équipage abasourdi, incrédule, qui finalement continue car il faut bien arriver à temps au port. Elle se dit que si elle même voyait quelque chose d’aussi extraordinaire qu’un homme emplumé tombant du ciel, elle s’arrêterait pour aller l’interroger (et lui remettre les membres en place certainement). C’est vrai qu’on ne voit pas toujours ce qu’on a devant soi, quand on pense à autre chose. Regardez par exemple ce type qui a habité à Roissy pendant plusieurs mois dans le no man’s land administratif ; et bien, les employés s’étaient habitués, ils lui donnaient des croissants le matin. Alors, finalement, c’est bien vrai qu’il y a des tas de choses qui se produisent pendant qu’on pense à autre chose, qu’on mange, ou qu’on regarde par la fenêtre (tiens, le vol 2135 qui décolle).

Alors, si en plus il fallait qu’il y ait d’autres dimensions et des portes du temps, une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

« Voilà, Monsieur, « les dédales de l’histoire ». J’espère que vous ne vous y perdrez pas. Ah Ah Ah ! Bonne journée à vous ! »







Pascal Legrand

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