APTERYX 2012-03-24

APTERYX ET LES CHRONOPHAGES

Au sud de notre village, on raconte des légendes de sapins mangeurs d’homme. Evidemment, ça fait peur. Moi j’aime les forets noires, mais avec des cerises et du chocolat. Alors quand des aiguilles de sapin salivent au soleil et que des vents malins s’en mêlent, il est préférable d’aller découvrir d’autres rivages.

Nous sommes comme des argonautes, toujours en quête de la toison, c'est-à-dire d’une belle journée au ciel légèrement meringué de petits nuages blancs prometteurs de visions nouvelles.

C’est un habitant de mon village du nom d’Apteryx qui m’a entraîné vers le nord. Il m’a pris sous son aile en me racontant des histoires de phénix, et de l’île grecque de Cheminotikos où il était allé en vacance dans le temps.

Dans le nord, me dit-il, il y a des loups, mais il ne faut pas en avoir peur car nous sommes en l’air.

Je comprends bien ; c’est comme les crocodiles. Et il y a un temps pour tout, le froid de canard et le confit compris.

C’est ainsi que je me retrouvai sur un décollage avec une aile sur le dos, un peu comme ce tableau célèbre de Charles Landon (1799) où l’on voit Dédale qui accompagne élégamment l’envol de son fils aux ailes blanches, nu, pas très bronzé, sans instruments visibles, mais le pied léger. Nous savons comment l’histoire se termine. Mais quand même…

Il ne faut pas négliger les leçons du passé et tout le monde a entendu parler de cette histoire. Trop près du soleil. De la cire au lieu de la super glue. Et ses ailes de géant l’empêchent de marcher, alors vous pensez bien que pour courir…
J’ai quand même pris quelques renseignements. Dédale a décollé de Crète. Et il parait qu’il s’est posé à Camicos en Sicile, avec un stop-over à Cumes, près de Naples, ce qui fait plus de 1400 km. Il devait avoir de grosses omoplates ou s’arrêter de battre des ailes plus qu’à son tour. C’était il y a longtemps ; nous avons du oublier certaines choses.

Dédale avait aussi inventé la vache-mère du Minotaure, mais je ne veux choquer personne. Respectez les vaches dans les champs ou vous vous posez par erreur, et rappelez vous qu’il faut contrôler votre degré d’étymologie avant de partir (vous soufflez fort).

En bon artisan, Dédale avait aussi inventé la fourmi qui passe le fil dans la coquille d’escargot (rien à voir avec Ariane), et plus tard, l’eau bouillante pour se débarrasser du roi Minos qui commençait à l’énerver. Au milieu de tout cela, il y a le labyrinthe qui était sensé emprisonner le Minotaure, et d’où finalement Dédale dû s’échapper. En décollant !

Je vous accorde volontiers que la mythologie grecque est un sujet un peu compliqué dans l’ensemble. Nous allons donc restreindre la perspective d’aujourd’hui à un rapide coup d’œil sur le labyrinthe, plus particulièrement celui situé dans le sud du lac, dont les photos sont visibles sur google earth.

Vu du dessus, tout est différent. Pensez à ces grands bras d’arrosage qui donnent ces cercles de cultures de couleurs. Le miracle de l’eau, et aussi, le miracle de l’homme. Mais là, on se demande pourquoi l’homme est prisonnier du labyrinthe. Vous êtes rentré par la porte de devant (en payant en plus !), vous vous êtes posé au milieu, ou bien vous êtes victime du péché originel et condamné à errer dans le noir (la bougie éteinte) à chercher la sortie, tel Sisyphe le bousier remontant son caillou (j’aime bien un peu de mélange ; mais c’est dur à suivre).
C’est un peu le principe du labyrinthe : il faut que la sortie soit difficile à trouver. Mais pas trop.

En fait quelque soit la façon dont nous entrons, nous ressortons les pieds devant. On peut varier le trajet, faire durer le plaisir, s’interroger et supputer, il faut une fin, une sortie. C’est mieux que le squelette desséché au milieu du parcours, en général, car il y a l’histoire du chemin à raconter. El camino. Le tao.

El vuelo. Exotique, en l’air, en 3D ? Pourquoi pas. C’est peut-être pour cela qu’Apteryx voulait m’amener ici. Pour la découverte. La révélation du labyrinthe vu du ciel. Et le mystère du vol. rajouter la 3ème dimension, c’est compliquer encore le puzzle avec de nouveaux emboîtements et ces choix de sorties multipliées. Comment Dédale se retrouve-t-il en Sicile ? Où a-t-il changé de cap ? Vais-je avoir assez d’altitude pour parvenir à mon but ? Faut-il revenir en arrière pour contourner l’obstacle ? Le facteur de risque sonnera-t-il 3 fois et qu’y a-t-il dans le paquet ?

Emporté par la brise, je pourrais croire que je m’éloigne du cercle. Je vois des pointes de volcans au loin, mais aucune lueur incandescente de lave en fusion. Le passé est éteint. Reste la lumière du soir. J’attends un air porteur et serein. J’ai déjà fait un bout de chemin au-dessus des bruyères, des myrtilles et des sapins.

Apteryx m’a bien dit de lisser mes plumes, de garder la rémige attentive et gaillarde. Je compte sur mon nouvel équipement, sur mon calculateur de bord, sur mes batteries au lithium. Vais je entr’apercevoir les secrets de Dédale : je compte bien échapper au mythe, et pour ce faire, il ne faut pas que je tourne trop en rond au-dessus de ces ifs et de ces troènes taillés. A force de monter et de tourner en derviche, les figures géométriques deviennent un peu floues et s’estompent. Au loin, je vois la couche d’inversion du temps. Si ma plume continue de gratter le papier, je vous donnerais la prochaine fois plus de détails sur l’île de Chronos et sur les chronophages.

Ad majorem dei gloriam.


Pascal Legrand

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