FUTUR PROCHE 2012-01-05




Je me promenais ce jour là aux alentours de l'estuaire et il régnait comme une impression de bande dessinée dans l'air. Je voyais des cases qui voulaient me raconter une histoire et c'était surement prémonitoire.







C'est sur un banc que je l'ai rencontrée. Assis à cet endroit, le regard se porte naturellement sur l'embouchure et les forts qui la gardent. Il y a en amont :le fort Lupin et sa fontaine pour l'approvisionnement en eau ; juste en face : le fort La pointe, dit fort Vasou, même sur les cartes, puis vers le large le sémaphore, le fort L'aiguille, le fort Enet, et même un autre plus connu là-bas dans le nord ouest où l'on dit qu'il y a des tigres et des pièces d'or.



Finalement,c'est assez raisonnable de voir ce pertuis comme une porte qui s'ouvre vers l'aventure, vers les Indes de l'Ouest ou d'ailleurs; pourquoi les grands navires ne remonteraient ils pas la rivière tirés sur le chemin de halage par des éléphants chamarrés qu'ils auraient été chercher au Radjastan ou à Goa ?



En amont, il y a l'arsenal, après la poudrière, la fosse aux mats, les cales de carénages qui sont restées longtemps enfouies sous les ronces, et dans lesquelles se trouvaient des choses qui remontaient à la deuxième guerre mondiale. Il devrait rester des casques ou des douilles de munitions. Et d'ici, trois blockhaus nous contemplent,mais je vous assure que ça n'a pas l'exotisme des pyramides et de la campagne d'Égypte.

Elle s'appelait Hermione. En dehors de la mythologie c'est un genre d'amélide polychète aphroditien qu'il est normal de ne pas connaître. Elle a aussi les cheveux raides.


Je la sentais indécise, hésitante, ne sachant si elle devait repartir vers l'intérieur des terres ou vers les iles, et pourquoi pas les Amériques ou l'Ile Bourbon.



Le marquis m'amusait avec sa boucle dans les cheveux. Je trouvais qu'il ne faisait pas sérieux. Le vent se moquait de lui et de sa frégate. D'ailleurs, où en était-elle ? Alors qu'il était là, figé dans la pierre, ne regardant même pas l'embarcadère.


Les cargos passent avec le courant, au rythme lent des pistons de leurs machines. A la passerelle, un officier se tient parfois avec une paire de jumelles. Regarde-t-il les femmes assises sur les bancs, ou les alignements d'entrée du chenal ?



Sous le banc, le sable grossier, avec des coquillages écrasés, laisse pousser une timide végétation d'euphorbes, de cristes, avec quelques chardons marins qui peuvent piquer les pieds nus. La côte est plate, pas de roc, ni de cap, ni de péninsule escarpée. Rien de spectaculaire. Sauf le temps qui passe, la marée, les courants, limons et alluvions.











C'est un peu comme l'atmosphère désabusée et nostalgique des livres de Pierre Loti ,dont on ne sait pas du tout s'il est jamais venu sur ce banc. Il n'aurait pas dédaigné le passage des canots, des canonnières et des avisos. Hermione n'aurait pu que lui plaire.

Les oies et les tadornes cacardent et cancanent en dérivant vers les salicornes et les lilas de mer.

Qui ne rêverait pas du nouveau monde en voyant des oies du Canada . Qui ne rêverait d'avoir des ailes et de voler pour une migration vers un autre ailleurs ?

Les yeux d' Hermione était noirs comme du gasoil de fond de cale. Ils faisaient chavirer l'esprit, et les amarres et les câblots tombaient à l'eau pour des rêves de Rio de la plata ou de Maracaibo; je me demande encore si ses ancêtres avait embarqué pour la grande traversée, ou si sa famille repose sous les pierres tombales des cimetières alentours.


Il fallait se décider à lever l'ancre, selon l'heure, pour partir au flot ou au jusant, vers le large ou vers les quais d'un port. Je voyais bien Hermione monter dans une calèche ou un canot verni. Je ne savais pas si j'allais l'accompagner. Je ne savais pas si derrière ces apparences il y avait une réalité. Ces titres de propriété du nouveau monde et des colonies valaient-ils vraiment plus que le papier sur lequel ils étaient imprimés.
Hermione vas-tu m'accompagner ? N'y a-t-il pas aussi dans ce voyage quelque risque de naufrage ?


Si nous sombrons corps et biens qu'adviendra-t- il de notre héritage ? Ta peau délicate du sel et du vent d'orage devra subir l'outrage... J'aurais, en cas de roulis et tangage, à m'amariner pour ne pas trop m'appuyer sur le bastingage. Ah, les voyages !

Et si, tout simplement, Hermione chérie, nous reprenions nos vélos, pour suivre la ligne de côte jusqu'à la prochaine plage, où nous pourrions, à l'ombre des pins parasols déguster un pique-nique mérité, suivi d'une sieste appropriée. Nous déciderions ensuite de notre avenir, de nos choix, de nos aventures et de nos titres futurs.





Pascal Legrand

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