SOUS LA BONNETTE 2010-11-06

Au jour d’aujourd’hui je ne sais pas ce qui me frappe le plus : qu’il ait réussi, ou qu’il ait réussi à le cacher ? J’ai juste vu un entrefilet dans un journal local, une erreur de journaliste zélé probablement. Pas de sponsor, pas de média, pas de people, pas de page internet. Un défi impossible en somme. De la terre à la lune en ballon à pédale, ça se saurait. Je plaisante. Mais quand même.

Orson Welles a fait paniquer l’Amérique avec une émission de radio annonçant l’arrivée des martiens. Edgar Poe et le New York Sun annoncent le 13 avril 1844 que l’Atlantique a été survolée en 75 heures.
Il y a une tradition de la fausse nouvelle annoncée, mais assez peu de vrais événements étouffés, sauf pour raisons politiques bien sur. Est-ce le cas ici ? Les lobbys pétroliers texans ? Quand même, il ne s’agit pas aujourd’hui de l’assassinat d’un président !

Il faut dire tout de suite que la météorologie a fait beaucoup de progrès. Vous pouvez le constater chaque jour en regardant par la fenêtre. Il y a souvent une bonne corrélation pour la prévision en temps réel. Mais il y a surtout la science des matériaux. Et là tout ce qui est 1000 fois plus petit que le diamètre d’un cheveu est 10000 fois plus résistant que l’acier. Et nous travaillons sur la version nano carbone améliorée, biocompatible ! Ce qui était du domaine de la science fiction devient réalité. Voyez Jules Verne. La plupart des gadgets sportifs d’aujourd’hui auraient valu le bûcher à leur inventeur au moyen age, et l’excommunication en prime quelques années plus tard, à cause de le la lenteur des communications de l’époque.

Je ne vais pas tout vous dire car je sais que l’auteur de cette performance exceptionnelle le fera lui-même en temps et en heure. Je peux malgré tout présenter quelques orientations qui ont permis de progresser, tout ceci étant vérifiable.

Que l’aérogel soit le matériau le plus léger à ce jour est facile à découvrir d’un seul click. Grande résistance à la compression. Imaginez le, combiné à une mousse de carbone. Il y a aussi de nouveaux procédés comme l’infusion (VAP, vacuum assisted process) qui ne sont pas ignorés de tout le monde.

Bernard Smith, l’auteur de « The 40 knot sailboat » (1963) est peu connu, mais on comprend qu’il s’agit de vitesse sur l’eau. Stephane Rousson a été « vu à la télévision » pédalant pour se préparer à traverser la Manche en dirigeable. On apprend beaucoup de tentatives qui ne réussissent pas immédiatement. C’est par lui et un autre projet (Théolia) que vous auriez pu entendre parler du chien de mer, une aile marine en quelque sorte. Didier Coste n’est connu que de quelques voileux, mais Mac Cready, qui pousse un planeur devant ses mains, est sur votre écran (walk along glider) tandis que Burt Rutan est presque célèbre pour avoir dessiné et construit Voyager, l’avion qui a fait le tour de la planète sans escale, et pour son avion de l’espace avec Virgin.

Mettez quelques pincées de ces ingrédients ensemble, agiter un peu les neurones, faites cuire les composites en restant discret ; et repartez à zéro en rappelant qu’en mettant un tonneau à l’eau au large du Sénégal il a de bonnes chances de traverser l’Atlantique avec les alizés.

Je vous dis que Thomas Lemoine a traversé l’Atlantique avec « un avion à pédale ». Et vous ne l’avez pas vu dans le journal ! Je n’ai pas à discuter ses motivations ni sa façon de procéder. Je voudrais juste communiquer ce qu’il m’a été possible d’apprendre de sa bouche, et avec son autorisation.

Il a trente deux dents. Pardon, trente deux ans. Et je m’appelle Marcel Dupin. Je suis maladroit, et ému ; que ceci me soit tombé dessus, car bien sur j’ai peur des incrédules et des intérêts du grand capital. Je ne suis même pas le grain de sable qui bloque le rouage. Il n’y a plus de rouage, ni de dents de plateaux. La clef de la réussite est la simplicité. Alors forcément, je m’embrouille.

Je ne prétends pas être un scientifique. Je suis journaliste. Je peux être précis sur certains points.
1835 : Edgar Alan Poe publie « An unparalled adventure of one Hans Pfaal”
1863 : Jules Verne publie « Cinq semaines en ballon »
1865 : Jules Verne publie « De la terre à la lune»
1844 : le New York Sun publie “The Atlantic crossed in three days”
L’impossible ne date pas d’aujourd’hui. Jules Verne est certes connu comme auteur de science fiction.. A cette époque, c’était le ballon qui portait les rêves. Aujourd’hui, grâce aux marées noires nous sommes verts de rage, et c’est l’énergie propre qui nous porte en avant. L’eau, le soleil, le vent, le muscle. Il y a peut-être une façon de voir la réalité différemment. Les média attisent ces braises comme le soufflet de Hans Pfaal , le personne de Poe, dont le ballon était couvert de vieux journaux. Du vrai ballon, vous pouvez lire l’aventure dans ce récit au style suranné : »Account of the aeronautical expedition from London to Weilburg ».

L’âme du composite c’est de l’air, avec très peu de matière autour ; ce qui compte c’est la porosité, dans laquelle il se peut qu’un gaz soit enfermé. Attention aux trous d’air.
Ne laissez pas la presse vous vendre du vent. Il y a des gens qui volent à 180 Km/h au ras des falaises, habillés d’une combinaison de « Batman ». il y a un pilot suisse (Yves Rossy) qui se propulse à l’aide de réacteurs, avec ses petites ailes sur le dos.
Le ballon à pédale n’a pas traversé la Manche.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus de flotter dans l’air, ni d’aller sur la lune ; nous n’avons plus les moyens ; le mouvement perpétuel n’existe pas encore, mais vous pouvez pédaler. Tournez les pieds en rond (les mains aussi d’ailleurs). Jusqu’à 2010, le vol battu humain était jugé impossible, puis des canadiens ont fait les premières longueurs ; un peu comme en apprenant à nager. On ne traverse pas la Manche au premier essai.

Thomas Lemoine a rassemblé des matériaux, des techniques de mise en œuvre et des savoirs faire. Mais rien n’aurait été possible sans l’ordinateur, l’albatros et la poésie.
Il a fallu quelques calculs d’énergie cinétique pour comprendre comment surfer l’air des houles du sud sans battre des ailes, et sans mouvement perpétuel. Il y a les vagues et le vent, la montée et la descente, le gradient (différence de force du vent avec l’altitude). L’appareil flotte. Le pédalage est utilisé au décollage, pour le lancer dans la pente de la vague, face au vent, et ensuite les deux hélices contrarotatives s’escamotent. Une fois la prise de vitesse effectuée, les sinusoïdes peuvent commencer. Le décollage est autonome. Pas de vent, pas de vague, pas de vol. Ancre flottante en bout d’aile et possibilité de flotteurs gonflables additionnels. Moins de trois jours pour suivre les alizés de l’Afrique aux Antilles, avec quelques pauses sommeil et restauration. Le pilotage est assez exigeant et il faut prendre le rythme, s’habituer à foncer au ras des vagues encore plus près qu’au ras des crêtes des chaînes de montagnes. Les crêtes déferlent parfois comme des avalanches dans des bruits de carbone qui craque.

Comment communiquer ce plaisir sans le galvauder de superlatifs médiatiques ? C’est parce qu’il n’a pas répondu à cette question pour le moment, que Thomas a préféré rester dans l’ombre. Baudelaire l’a déjà dit. Rappelez vous aussi que c’est l’albatros qui, selon la légende, fracasse de son bec le crâne des marins tombés à la mer. Je pense qu’il faut se méfier des légendes et des histoires de marins. Je reste assez terre à terre. Mais comme dit Poe lui-même (à l’instar d’Ismaël) ; « Quand je suis pris d’un de mes accès de vagabondage, je ne pourrais échapper à cette humeur ….» et en fait, après avoir prêté serment d’abstinence devant la société de tempérance ; il fut retrouvé ive mort à Baltimore, et mourut trois jours plus tard de delirium tremens ; comme quoi ….

Je vous conseille aussi « Manuscrit trouvé dans une bouteille » (de Poe). Parallèlement, méfiez vous quand même des bouteilles.
La bonnette est une voile supplémentaire établie sur les basses vergues.


Pascal Legrand

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