CYCLONAUTE 2010-10-15


J’étais assis sur le talus sur le bord d’une petite route de campagne et je regardais la roue de mon vélo. « Faudrait pas que je me mette à tourner en rond » me dis-je, comme ces marins perdus dans le brouillard, ou ces explorateurs polaires perdus dans le grand blanc.

J’aime bien la route qui va quelque part. le fait que la ligne droite soit le plus court chemin d’un point à un autre me rassure, même si je sais qu’il faut parfois tirer des bords. Je suis un cyclonaute cartésien. J’essaye de rester sur la carte, même s’il faut parfois passer derrière la pliure, et je ne vous dis pas les problèmes que j’ai avec les écrans, les fenêtres et les téléchargements mal amarrés.

J’ai des notions de physique et de géographie. Je sais quand j’avance et quand ça monte. Mes jambes tournent dans des orbes pas tout à fait célestes. J’applique des forces, j’ai des bras de levier, des couples, des pignons et de précieuses cassettes, comme Harpagon. Mais je manque parfois d’huile, de bielle et de vapeur, parce que là ça se rapproche de la mécanique, du tournevis et du bricolage. Je préfère boulonner le concept que de me coincer les doigts dans la pince.

Si je suis à la croisée des forces qui génèrent le mouvement, suis-je pour autant immobile ? Ou seulement en équilibre fragile… car la vie est mouvement.

Grâce à ce pédalage, je me suis un jour retrouvé dans une salle d’opération et mon cœur s’est arrêté de battre. Après réfection d’un peu de plomberie, les jambes tournent encore. Mais j’ai fait un rêve et je vais vous en montrer la route.

Au départ, je prends la voie de chemin de fer, réaffectée bien sûr. Au fond, vous voyez la maison du gardien du passage à niveau. Méfiez vous des rites de passages. Toute cette vie n’est qu’un mélange de réalité et d’illusions. Je vois passer des ombres floues. Je me méfie des aiguillages et des joints de dilatation. Les trains se sont envolés. J’espère bien faire de même pour atteindre la zénitude des alpages.

Il faut mettre de l’énergie pour progresser face au vent. « 2 fois la route, 3 fois la peine » dit le marin. Le soleil donne sur les champs moissonnés. Sur les bottes de foin empilées, je devine les montres molles de Dali qui sont fatiguées de marquer le temps. Seul existe celui du rêve qui s’installe tandis que je pédale.

L’asphalte noir serpente vers la porte du lézard vert. Mon moi énigmatique prend les commandes. Ondulations des courbes. Non loin d’Ys engloutie, les oiseaux de mer s’aventurent en terre d’Aunis pour chercher pitance. Peut-être faut-il que j’agite mes bras pour décoller ? Sans aile, j’hésite.

Mais les choses se mélangent. Il y a des ponts, et qui sait, ce qui arrive une fois passé le pont. Dans les marais s’orientent les canaux, poussent les roseaux, volent les oiseaux.

J’ai vu des geais aux plumes bleues et des « déjà-vus » derrière des murs. J’ai vu des corbeaux sortis d’Edgar Alan Poe, des merles enchanteurs, des alouettes au zénith. Quelques tapons cendrés. Du noir et blanc. Un flash back peut-être ? Un coup de moins bien? Peut-être tout simplement, deux pies sur la route qui se transforment en rennes dans les sinuosités des éclairages. Des taches sur le pelage. Ils sont un peu loin, l’un plus gros que l’autre ; vous avez dit blizzard ? Pas le moindre traîneau, ni Père Noël. Bouton de rose.


C’est l’été. Les rennes se dissolvent dans la neige, fondu enchaîné. Xanadu, doux doux. Une mamelle de ruminant apparaît. Blanche comme lait. Mais c’est une autre histoire d’un autre jour, nouvel épisode à venir sur la route noire.

Cette route mène-t-elle quelque part ? Je me demande parfois si je ne reviens pas sur mes pas, mais je ne vois pas de trace de pas. Il n’y a pas de pas. Ni d’hélice. Je ne décolle pas. Je tourne des manivelles, dans le sens des aiguilles d’une montre… j’ai vu des pancartes. Je me suis perdu. J’ai vu des moulins aux ailes frémissantes, mais j’ai gardé mon cap vers des phares clignotants, des miroirs scintillants, cette histoire de lumière au fond du tunnel… soleil de minuit sur le tarmac ?

J’ai peur que cette histoire finisse en écran noir.
Il faut que je passe du cercle à la spirale.
Sur mon tapis volant…

Tout est relatif, dit-on, et le vol de mon appareil n’est qu’un déplacement dans l’air qui le porte. Même s’il semble très simple mon tapis volant est de conception sophistiquée, car voler dans le plus simple appareil ne serait pas prudent. Pensez plutôt aux dessins de Leonard de Vinci, à ces ailes diaphanes de chauve-souris dont les nervures ont des courbes plus subtiles que certaines équations obscures. Elles se déploient et une fois qu’elles génèrent leur portance, elles protègent des morsures du temps. Non qu’il suspende lui-même son vol ; c’est plutôt qu’il m’accompagne jusqu’au moment où mes pieds retrouvent le sol.

Une boucle virtuelle se reforme alors, comme un trajet accompli. Je me retrouve sur terre d’où je suis parti. Mais pas forcément au même endroit, et en tout cas pas au même moment.

Je vais continuer de tourner à la vitesse de la rotation de la terre et de la galaxie. J’ai bien vu là-haut que j’étais un point a peine visible, que je ne devais pas trop m’éloigner, c’est-à-dire me rapprocher du soleil, faute de quoi, je ne serais que fétu de paille à l’approche de la grande moisson.

En même temps, personne était là pour m’indiquer le décisions à prendre et je pouvais utiliser mon libre-arbitre, sans négliger mes erreurs et leurs évaluations. Je me suis isolé un petit monde que je dirige avec sagesse au mieux de mes moyens. Il y a des hauts et des bas. C’est ainsi qu’il en est, compte tenu des nuages et des vents.

Il m’arrive de croiser d’autres aéronefs, et nous échangeons alors quelques informations. On peut difficilement dire qu’il s’agit d’un dialogue suivi ou profond. En général, nous essayons d’aller plus loin, ou plus haut, ou plus vite, voire même de choisir un bon atterrissage où attendraient quelques boissons et naïades prometteuses. Les paramètres sont nombreux ; et même si les neurones sont rapides, ils se retrouvent souvent à contempler les taupinières d’un peu trop près.

Si vous visualisez un disque dont on pourrait sauter les sillons, un vieux 33 tours, qui représenterait un monde tournant, en roulant à vélo dessus la force centrifuge nous attirerait vers l’extérieur. Ce serait plus facile de s’éloigner du centre.

Pour la vitesse et le mouvement, je vous propose le disque virtuel et perpendiculaire qu’on entrevoit dans les photos des avions de chasse à réaction qui passent le mur du son ; un genre de cercle irisé, de cerceau de cirque qui disparaît de lui-même, comme pour prouver que le mouvement n’est qu’une illusion et que la vitesse est plus une affaire de temps que de déplacement.

Il n’est pas facile de transformer ces cercles et en disque en lignes droites. Voyez plutôt les plateaux. Prenez l’Aubrac et le Cézallier. En quelque sorte, c’est un double plateau et l’esprit peut voler de l‘un à l’autre, ce qui aplatit les distances. Certes, il faut frotter dur pour raboter le granit. Oui, il faut garder quelques pentes pour accélérer, car sans vitesse il n’y aura pas de portance, et nous ne voulons pas d’un gaz quelconque qui nous ferait aussi gros que le bœuf pour nous arracher du sol. Ainsi donc, il faut de l’horizontal dans notre vertical. Les roues ne sont-elles pas verticales pour un déplacement horizontal ??----- !!

Peut-être vais-je me sentir pousser des ailes ? Je m’allonge. J’hésite à avoir le nez en l’air vers les nuages, où comme un oiseau, à rester à plat ventre pour surveiller mon altitude. Je replie mes bras pour accélérer.

Je sens que je saurais sentir l’air du bout de mes ongles. Je les ai laissé pousser un peu (ridicule tentative de mutation). Mon crâne lui-même semble se prolonger en forme de huppe, et même ma bicyclette se met à ressembler à une queue de B52. Mes lunettes me donnent l’impression d’avoir les yeux qui gonflent et leurs reflets irisés évoquent les facettes de ceux des insectes. Je reste serein, et un peu jaune canari aussi. Mais je compte bien sortir de ma cage. Tous ces tubes vont finir par ressembler à des barreaux, et je vais me sentir emprisonné par la réalité et les lois physiques de la résistance des matériaux. Je veux du vent.

Mon esprit pédale d’un rythme allègre et frais, alimenté par des vapeurs de sources inconnues. Il y aurait peut-être une troisième dimension, issue de la lampe d’Aladin, une fumée en volutes qui s’élèverait lentement pour faciliter ma tache. Je monte les lacets du col. La végétation se fait plus rare. J’arrive sur le plateau proche du signal.

Au-delà des estives, j’aperçois quelques rochers, des sapins noirs.
Plus rien ne s’oppose à l’envol.

Annexe 1

CADENCE
Je suis le déjanté du pédalier
Je suis un pneu fou à lier
Sur mon affolante Rossinante
Je suis parti route de Nantes.

Je fonce dans des dédales
De couloirs de circulation
Vers les portes de la révélation.
J’ai le périphérique encombré
Je respire de l’air vicié
Je suis oxy oxy oxygéné
En manque de carbone foncé
Un peu défoncé du béton.
Ordures des bennes, senteurs des bois.

« Suivez la voie sans dérailler,
Tournez à droite, tournez à droite »
Tiens pourquoi j’ai les mains moites ?

J’appuie sur les leviers du lévrier
Je tourne les manivelles de ma cervelle
Dans l’air fendu, je m’enfonce
Le vent souffle et siffle aux oreilles
Des anges de la vitesse, prouesses
Des glisses, descentes traîtresses
Des ailes ! Des ailes !

Désolé. Au sol, je dois rester. Olé !
Ou café.



Pascal Legrand

Visiteurs : 547

Retour à l'accueil