LE DECOLLEUR OU L'INCONSTANCE DE L'ÉTHER 2010-01-08

C’était au temps des princes du Sud. Ils régnaient sur des pays peuplés d’individus et non de foules. Chaque homme cultivait son jardin comme il avait été dit et prenait des vacances ailleurs, de l’autre coté d’une montagne qu’il traversait à pied ou à cheval pour éviter de laisser une trace carbone, que des méchants auraient alors pu choisir de suivre pour l’occire, encore que beaucoup pensaient qu’il s’agissait là d’une légende.
Les gens s’éloignaient plus ou moins de chez eux en fonction de leur désir d’aventure, de leur envie de visiter des musées, de manger des pizzas ou de sauter à l’élastique.

Le paysage est peint devant moi comme sur un rideau de théâtre. Il ressemble à une réalité dans laquelle je vais pénétrer en craquant la toile. De l’autre coté de cet écran la pesanteur est différente. Je pourrais la faire disparaître. J’ai envie de me sentir léger. D’une certaine manière je suis sur un tremplin qui va me permettre de laisser un quotidien derrière moi. Je vais courir pour créer mon vent, ma portance ; je vais brûler un peu d’énergie pour franchir le seuil, et ensuite, je glisserai sur la vague que j’aurai créée. Les lois de la physique s’appliquent, mais c’est aussi instinctif ; c’est un stade de l’évolution qui est inscrit dans nos gènes ; d’abord sortir de l’eau, puis rentrer dans l’air . Ensuite l’espace ? Je vois des lointains prémonitoires dans les brumes bleutées.

Tu cours, tu cours, tu cours ; comme un mantra de yogi qui va avec ton karma, comme le gamin avec son cerf-volant sur la plage. Le cœur est une pompe et un moteur qui doit être en phase avec l’esprit qui s’apprête à changer d’élément. Les frontières sont toujours difficiles à traverser. Vortex, cavitation, tampons d’encre obligatoires et problèmes de langue, de terminologie, de culture. J’entends les clics des dauphins et la mélodie des sirènes, mais pas encore les cris du poisson. Je ne reçois pas les informations des pigeons voyageurs et des grands migrateurs. Mais il y a ce souffle sur mon visage, et, devant moi, des ondulations de houle, des mouvements d’air, en forme de rouleaux, et des génies qui sortent des lampes d’Aladin au printemps. Des aigles planent dans les hauteurs et les hirondelles et les martinets virevoltent, baguettes magiques d’un chef d’orchestre invisible. Embarquement presque immédiat.

Je n’arrive pas à marcher tout le temps en regardant mes pieds. Il faut bien regarder devant de temps en temps, et là, « je cours, je cours » et avec l’accélération je quitte le sol pour rentrer dans les taches du paysage ; je passe derrière les pixels des impressionnistes et je rejoins les petits points du temps du rêve. Ombres sur la plaine, serpents pythons des rivières, sifflements des buses très variables d’un nuage à l’autre. Comment pourrait-on explorer le ciel autrement que par quelque élévation " à la Beaudelaire"?
Quel autre moyen y a-t-il d’échapper à la persistance des ronces qui s’échinent à vouloir nous enserrer les mollets. Quelle autre perspective d’avenir pourrait exister, alors qu’il n’y a pas si longtemps le monde semblait un disque plat (peut-être même pas vinyle) avec du vide autour, et qu’aujourd’hui, nous ouvrons l’œil sur le cosmos, avec une gueule de bois qui laisse à penser qu’on nous a refusé notre visa de sortie de la principauté de Monaco.
S’échapper vers le haut semble quand même moins fatigant que creuser un tunnel. Pas contre, les mythes indiquent bien les dangers. A trop vouloir monter, je risque de passer mon temps à descendre, ne serait ce que dans la masse d’air. D’un autre coté - vers le bas - qui connaît l’histoire du tunnelier qui se serait fondu le trépan diamanté en se rapprochant trop de notre noyau en fusion ?
Creuser, c’est long, c’est bon pour les cimetières, mais c’est malgré tout un plan sans trop de surprises face à l’inconsistance de l’éther. La géologie semble plus stable et raisonnable que l’aérologie.
Alors le crapaud, prince charmant doit pourtant parfois sauter pour gober le diptère convoité de son oeil lubrique et néanmoins quelque peu pustuleux.

Monter n’a jamais été facile, à cause de la pesanteur. Voler non plus. C’était une idée assez récente pour l’homme que d’emprunter des ailes aux oiseaux ; parce que sans les ailes, c’était encore plus difficile, comme on le voit bien avec Sainte Thérèse d’Avila.
Je vais essayer de vous montrer quelques influences et quelques directions qui ont déterminé certains choix, mais tout cela n’a rien à voir avec la disparition des ptérodactyles ou des dinosaures. Il n’y a pas d’impact de comète dans mon histoire, ni de Deus ex Machina.

Enfant, j’ai fréquenté des églises où je voyais des tableaux, des statues et des colonnes. Le tableau qui m’intéressait était celui représentant la visite du Saint Esprit, avec un petit épervier, qu’on appelle aussi émouchet, souvent en vol stationnaire. Il attendait de fondre sur sa proie.
« Oh temps, suspends ton vol ». Mon regard était suspendu à ces ailes nimbées d’une lumière de révélation. Je me suis probablement dit que le vol pouvait suspendre le temps. L’esprit d’un enfant est impressionnable comme le cerveau du volatile qui vient de briser sa coquille.

Je me sentais plus attiré par le Saint Esprit que par l’image du père charpentier, travailleur à qui on a quand même un peu fait un enfant dans le dos, et qui va avoir des ennuis avec la police de sa lointaine banlieue. Le fait qu’il n’y ait pas de statue du Saint Esprit laissait plus de place à l’imagination, et c’est ce qui m’a permis de poursuivre mes recherches.

C’est pourtant par hasard que quelques années plus tard, j’ai vu ce tableau de Winslow Homer intitulé « La chasse au renard – the fox hunt ». On voit bien le renard, sur la neige. Mais j’ai lu dans le commentaire qu’il y avait des corbeaux…. Et il m’a fallu du temps pour les trouver dans la grande tache noire en haut à droite ; non qu’ils n’aient pas été fort judicieusement représentés. Non que le corbeau n’aille pas avec le renard – rappelez vous ... C’est juste que je ne voyais qu’une masse confuse, que je n’associais pas au vol. Je ne voyais ni l’aile effilée de l’albatros, ni la rémige du condor. Peut-être que ces oiseaux noirs d’encre et de nuit étaient trop au ras du sol pour que je les voie. Peut-être le contraste était-il trop fort pour moi ?

Comme je range Winslow Homer parmi mes peintres favoris, je reste toujours un peu surpris par ma perception défectueuse de l’image. Je ne regardais pas le ciel mais juste le renard roux et les baies rouges sur la neige blanche. Est-ce que ce qu’on ne voit pas est important ? Je crains qu’il faille répondre oui dans de nombreux cas, ce qui est un premier pas vers l’humilité.
Dans une autre peinture, « la corne de brume - the fog horn », on voit le marin des grands bancs sur son doris qui tourne la tête, mais nous n’entendons pas la corne….
Dans « Breezing up » seul celui qui a un peu navigué voit qu’effectivement le vent risque de monter.

Toutefois, ressentir une tension qui règne dans un tableau, ou une situation, est une bonne vision du temps et du mouvement. Pour rester dans la peinture américaine, un de ses tableaux les plus connus, « Christina’s world », permet à Andrew Wyeth de projeter le regard d’une jeune fille (qu’on ne voit que de dos) vers une maison mystérieuse, le tout donnant lieu à de nombreuses interprétations…

Sur mer, le vent est moins distrait par les obstacles. J’ai donc commencé par observer la mer. Il faut bien reconnaître qu’au départ, j’ai surtout vu passer des mouettes rieuses et des goélands qui semblaient se superposer au décor de l’eau et du ciel. Puis, il y eu des cormorans noirs et des hérons et des aigrettes dans les marais. Il y avait toujours des points fixes de référence, rochers, forts, clôtures en bois ou pontons de pêche.

J’ai toujours pensé que les vagues étaient difficiles à peindre. En fait, pourquoi serait-ce plus compliqué que les nuages. De l’eau, de la lumière, du vent et du mouvement, ou pas. J’aime bien Courbet (Gustave), le canotage, le détail du grain du bois, et l’homme qui lève le bras

Finalement comme je n’ai pas de talent pour les pinceaux, je me suis dit que je devais rentrer dans le tableau, c'est-à-dire essayer de saisir l’instant, de regarder assez intensément pour essayer de bloquer le temps, de le comprendre. II faut analyser les paramètres et les fixer à un moment donné, ce qui parait impossible.

Une procédure rigoureuse permet une maîtrise de la respiration, de soi et une perfection du geste. Nous nous éloignons de la contemplation d’un tableau ou du paysage. Agir, c’est saisir, mais c’est aussi trouver l’équilibre, le chemin, la voie, el camino, le tao… la quête du codex doit éviter les pièges des dragons.
Qui est le dragon ? « I bin ein Drachenflieger ». Je vois maintenant des lumières qui s’allument et clignotent, j’entends des pings pings étranges, je frôle des chauves- souris, vampires venus d’Helmeringshausen et je survole des volcans éteints au fin fond des déserts. Dieu, « Votre altitude, votre lévitation » aidez moi, donnez moi les ailes d’un ange, et je partirais pour les grandes houles du grand sud, avec une grande envergure et un gros cache-nez.
Al-batros, Al-batros-houle Akbar, incantation exotique. Je me contenterais des fous de Bassam, voire de jouer au puffin. Je vais éviter les routes trop fréquentées des migrations d’oies, de grues, de cigognes. Je vais éviter de baratter l’air comme les cygnes.

J’ai déjà pas mal d’idées. Mais je dois d’abord apprendre à décoller et à atterrir sans rien casser. Il faut éviter les filets à oiseaux, les drones malins des druides droides, les zones classées, les gurus dodus, Max la finesse, et l’index de Dieu, qui fait mal si on le prend dans l’œil.

Je vais m’allier avec « lord of the wing » pour traverser les passages dangereux et me faire escorter par des nuages en forme de marsouin, de baleine ou de bélouga. J’irais au rythme des métaphores porteuses et des présences sibyllines vers de paisibles clairs de lune, ou de terre, et je verrais chez les bozos de plus en plus de beaux horizons.

Tout ceci s’accumule progressivement en un mille-feuille de sens et de sensations, qui devient à l’occasion un peu délicat à couper. La crème déborde un peu sur les doigts, mais rien ne m’empêche de me lécher les babines. Pas loin de la pâtisserie, je vais bien réussir à trouver un bar pour me lubrifier le gosier.
Je n’oublie pas de regarder s’il y a un calendrier des postes, avec sa photo ; et jenote les dessins du papier peint, au cas où on me le demanderait.
Je remarque que si je coupe l’alimentation de mes pensées mon esprit continue à tourner avec l’inertie et à avancer seul un petit moment.
Une histoire d’erre en quelque sorte.


Pascal Legrand

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