INSTRUMENTS 2008-09-14

INSTRUMENTS

Quand vous lirez ceci, un certain temps aura passé. C’est normal, et ces lignes ne vont pas s’autodétruire. Le temps. Un facteur capital, comme la peine. Triste temps qui passe, parfois. Je ne vous fais pas de peine, j’espère. Vous savez il arrive qu’on appuie sans le vouloir là où ça fait mal.

Je vais essayer de lisser un peu la surface. Ça glissera mieux ; j’aime la glisse, les courbes des surfeurs et les ailes tendues des planeurs. L’air et l’eau ne sont-ils pas de bons témoins du temps. Carottes cuites de glace d’un autre age, atmosphère de plus en plus ténue avec quelques trous, une vieille dentelle de robes à volant percée par l’acide.

Je m’égare facilement. Je ne sais pas combien de temps cela va durer. Il y a des symptômes révélateurs qui semblent pourtant bien anodins au premier coup d’œil.

Hier par exemple, j’ai acheté une montre. Il y a de fortes chances pour que vous aussi vous ayez, un jour, acheté une montre.

Dans le temps, c’était un cadeau de première communion, barmiza ou circoncision. On voit bien que pour le temps, Dieu ne compte pas. C’était des montres en or ou en argent, et à aiguilles. Aujourd’hui, c’est Casio, plastique et digital. Le temps change. Il se chiffre.

Avant, c’était du luxe, maintenant, c’est de la copie. Rolex, Timex, Durex. Ça peut rester un cadran rond, un hublot, un cercle magique où l’on s’enfonce, ou l’on se perd. On perd le temps, le temps du père, qui tourne en rond, et enfin l’éternel retour, la réincarnation : c’est le surfer qui sort de la machine à laver (pas facile par le hublot). Roulé par la vague, le temps égrène les molécules d’oxygène qu’il nous reste, une par une. Il tourne, comme tournaient les personnages des horloges des beffrois, dont tout le monde profitait ; temps et mouvements avec frappe et son. Aujourd’hui, nous n’avons plus le temps pour tout ça. Nous sommes plus prosaïque, et plus prozac.

C’est une montre-altimètre-boussole que j’ai acheté. C’est vous dire si ne me sens perdu. Où plutôt c’est que je ne sais pas trop où aller. Elle a un gros cadran rond avec un cercle de métal ; comme un hublot. Je vois une mer de cristaux liquides aux bleus profonds dans lesquels mon regard plonge, et se retrouve en dehors du temps. C’est embêtant.

Je passe alors sur la fonction boussole (électronique bien sûr). Problème de calage, comme pour les conteneurs. L’écran me dit « Err ». Donc j’erre. En passant sur Altimètre, je peux savoir si je monte ou si je descends, et à quelle vitesse verticale (Vz). On parle de vitesse ascensionnelle, mais pas descensionnelle, en m/s ou en f/mn. En bicyclette, je me rends bien compte quand je monte car c’est plus difficile : le temps ralenti ; celui du cercle décrit par la pédale. La distance parcourue diminue. Expansion / contraction. Je sais bien qu’il y a un rapport entre le temps et l’espace, et que tout est inscrit dans le cercle : que je parcours dans le sens des aiguilles d’une montre, et de 0 à 360°. Comme les diodes qui s’allument sur mon écran, pour signaler le bon fonctionnement de l’appareil qui donne l’heure et la sonne. (Sonne l’heure, les jours s’en vont, je demeure » avec mes souvenirs d’école et de par cœur).

A l’ombre du cadran solaire, qui lui n’a pas ses 360°, la part du gâteau est plus petite. Je vais prendre un quatre quart. Je suis gourmand. Toute cette énergie absorbée dans les dénivelés et les déferlements. Et les neurones qui s‘enfuient en emportant le monde d’emploi (en allemand, traduit du japonais).

Le temps coule, sur le goudron noir de pluie. La clepsydre est cassée. Les eaux sont perdues. Vais-je pouvoir coucher quelques idées sur le papier ? Sans fausse nostalgie.

Il faut que j’organise une permanence. Ça me stabilise. Qui sais, je serais peut-être élu. Les seules permanences au monde ou iI y a du monde sont pour les élections… vous avez voté pour l’après guerre ou la pré-guerre. Frappe préventive. Toc toc toc. C’est l’écureuil, j’amène les noisettes. « Ah, bah ! Entrez donc, je croyais que c’était le grand méchant loup ! » C’est que nous ne sommes pas nés de la dernière pluie, nous connaissons l’histoire. Quoique qu’elle puisse changer un peu selon l’oculaire vissé au petit bout de la lorgnette. Venez donc que je vous montre.

Ça tombe bien, c’est ce dont je parlais. De ma montre. La boucle est bouclée. Comme une fine chevelure, ou comme la crinière de Pégase, en une spirale fragile. Quand je vous dis qu’il est facile de s’égarer.

Ismaël, le narrateur de Moby Dick, nous explique que pour faire le point il s’embarque pour la pêche à la baleine, et le capitaine de Joseph Conrad (dans The Shadow Line) passe également par des temps d’incertitude et de décisions hâtives et radicales. Est-ce là la grande maladie de nos dernières années de jeunesse ?
N’est-on pas jeune tant qu’on peut encore décider de changer de cap ? Tirer des bords ou planer vent de cul ? Choisir son but, son temps et son coursier (fringant)…Et que les courants vous soient favorables.
Vous voyez que j’avais besoin de m’acheter des instruments de navigation. On commence par mesurer les angles des objets célestes, et maintenant tout est sur l’écran de contrôle. La planète ne scintille pas. Vénus n’est pas une étoile. Je préfère Sirius et son bleu lointain.
Dans la nuit le contour de mon ombre devient-il flou quand j’ai bu ? Est-ce là une vue de l’esprit déformé ? Où est-ce subrepticement l’apparition de sens multiples qui nous entourent, et le début de la folie ? Je perds le Nord et mes repères, et je n’ai plus qu’à imaginer le monde.


Projection

Paloma negra
Lune allumée, lucioles au sol
Les éphémères de Mai
Sont de célestes cacophonies.

Les sons s’entrechoquent,
Timbales tonitruantes tintinnabulantes
Fêtes d’été somptueuses cannibalisantes
Décors des corps modèles, nus cuits.
Contenu séquentiel ? Analyse. Cornucopia ?

Masques vénitiens de mystère et de mort

Low batteries, LOW BAT, BAT
Bateleur jongleur mate l’heure

Le chauve sourit :
Time to go
End game
To the stars again.

Il est l’heure
Fin de partie
Retour vers les étoiles.


Pascal Legrand

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