THE MYLN MISSION 2008-09-04



Il avait des horaires difficiles et des bières faciles. Il arrivait donc qu’on le trouve endormi sur son bureau, la tête appuyée sur le coude, non loin du téléphone, qui sans nul doute, un jour, sonnerait pour lui annoncer la nouvelle. L’agent Marie était un agent dormant qui pouvait être réactivé à tout moment.

Il aimait bien Hitchcock, Gary Grant, et la guerre froide, avec Guignol dans les jardins du Luxembourg qui tape sur le gendarme. Dans son rêve, il y avait une blonde, une brune, et une rousse. Son éducation religieuse (nécessaire pour son travail) lui faisant respecter cette trinité, et les longues robes des prêtres orthodoxes, leurs ors et leurs rouges, sous les bulbes joufflus des chapelles, qui se gonflaient comme des mongolfières et s’envolaient vers des bleus de Chagall. En bref, il faisait de beaux rêves et c’est tout ce qu’il demandait.

L’estuaire s’envasait lentement au rythme des marées. Les vastes vases des marais rosissaient au couchant quand passaient les vols d’aigrettes. Sur le front de mer, les touristes montraient Fort Boyard, passaient s’abriter du vent derrière le château de la sorcière (gonflable) pour regarder le saut à l’élastique et sa structure métallique. Au large, le hollandais volant larguait les cacatois ; au bar du ponton le marin sirotait son lait de yack en lisant l’avenir dans une goutte d’urine de bigorneau. La plaine du dragon des bouchots était paisible. Les restaurants servaient des huîtres, et des aubergines farcies.

Qui sait d’où vient le choc ébranlant le monde du dormeur déjà un peu en crabe sur sa chaise ? Où et quand avait-il entendu le message ?

Shangri-la et Xanadu ? Des noms de bateaux passeurs ? Un agent à exfiltrer, ou à mettre en poudre ? Maintenant, l’agent Marie le savait. « Les mojettes sont plates, les limandes sont cuites ». Il fallait agir.

Bien sûr, elle venait de l’est, et du nord comme l’anticyclone. Elle avait les yeux de glace du lac Baïkal. Elle avait vu le film « un pont trop loin », vu « die Brücke », vu le pont où s’échangent les espions du KGB, du MI5, les limousines dans le brouillard et les aparatchics en chapka.
Myln : blonde, rousse ou brune, à la foi orthodoxe, et bizarre malgré tout, car elle voulait passer le pont. L’agent Marie devait l’aider.

Mais le troisième pont a été détruit. De l’autre coté du fleuve se trouve « la base » : des militaires derrière les barbelés qu’il faudra contourner. A l’entrée, un aigle de métal géant, quasi pangermanique, semble prêt à nous agripper dans ses serres, mais nous déjouons ces pièges grâce à une petite route perdue dans de hauts maïs. Aucun survol d’avion à hélice pour nous traquer.

« Détruit ? » dit-elle. « Ça me rappelle la baie des cochons. Sale affaire. Le spectre des missiles est toujours vivant, enfin vous voyez ce que je veux dire. »

Il a fallu trouver à Myln des vêtements propres, ou tout du moins lavés avec. Il est essentiel de protéger sa peau des attaques des rouges par des kevlar-cottons appropriés. Utilisation de crème « O’tan » recommandée.

« La tentacule de la pieuvre a plus de ventouses que la toile de l’araignée » nous déclare-t-elle un matin au petit déjeuner. Je savais qu’elle était dure à cuire, comme le poulpe, malgré des apparences culinaires favorables. Elle rencontre quelques membres du réseau, sans se griller. Gilles lui présentât sa pizza gravillons et lardons, Sylvie lui ouvrit les portes de « la maison du sport », avec dans la cave les dossiers des « athlètes), Patrick pompa la suspension du performer paradoxal. Roger et Galette s’occupèrent des spécialités locales avec Colette et Corinne. Seb le bulot ajouta sa sagesse : « mieux vaut être broyé du Poitou que du noir ». Des gens et des lieux différents. Les voyages forment les mollets. Il y eut Yves et sa falaise, mais pas Joinville le pont. Les aléas du parcours rendaient nécessaire l’interprétation de la bande d’instruction : « Démarrez » ? ou « des marais » ? « Un bon li plus loin », ou « un bon lit » ? Pas question de jouer à la poulette russe.
Le groupe fit une pause au pied du fort. Roger le grand rouleur roula, et fit un tabac de 14 juillet ou presque : le fort te rend fort. Puis, ils traversèrent le bois des Nigmes. Des yeux guettaient ça et là, sur chenaux et canaux à travers échauguettes et roseaux, souvenirs des ages de meurtrières, de poudrières : des pavés, des ornières. Qu’il est long le chemin de l’Acadie et mystérieux comme les espions du Roy, ou comme les voyages de Pierre Loti . Sans parler de Nijni-Novgorod. « Détruite comme Stalingrad ? demande Roger, « aux amandes alors ! » dit Myln qui finalement prit une chaudrée.

Les locaux ont l’éloquence loquace : nous n’avons donc pas eu de mal à nous rapprocher du pont par des chemins de traverses de chemin de fer, construits ainsi pour éviter qu’ils ne s’enfoncent, contrairement aux corps et aux cadavres ennemis, auxquels on a retiré leur plaque de matricule.

Le monstre crache haleine fétide et pestilentielle. L’abbaye garde ses moines chauves et à lunettes, déchiffrant d’ésotériques pétroglyphes, gravées par un prisonnier muet dont une baleine à langue fourchue. Nous mangerons à la table d’hôte, du dragon aux carottes, et du pâté de ragondin.

Les émanations de gaz sont de toute évidence toxiques, mais notre progression continue. Nous restons kéro-zen, même si sur le port Boris Gruiguloosov reconnaît Myln et l’interpelle, déguisé en mareyeur. Une vieille solidarité l’empêche de la livrer aux poteaux des bouchots (pour qu’elle soit brûlée par le sel, et rongée par les tarets).

Nous allons passer le pont, comme dans Nosferatu. L’agent Marie 2 est là. C’est le double de l’agent 1. Il a fait 2 fois le pont. De l’autre coté, nous sommes attendus au bar, s’il n’est pas grillé. « Je préfère le maigre » dit Myln dont le vocabulaire s’est empoissonné. Elle a pris des capsules de couleur homéopathique et délavée, aubergine rincée. Les grosses légumes sont là pour l’échange.
Je vois le chef qui fait le poireau. Le récipiendaire est plein de dollars. Ya de la galette. L’agent est content du deal. Maintenant ici on l’appelle le transbordeur, c’est vous dire !

La nacelle est suspendue aux câbles, comme un ballon qui traverse les airs du passé et les vents de la peur, vers une autre rive de rêve.

Le pilote regarde son téléphone de bakélite noir, qui lui dit de larguer les amarres. « Agent Marie, do you read me ? -Over. Embarquement immédiat. Tout va sauter. »



Pascal Legrand

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