POTENTIEL 2008-07-06

POTENTIEL

Bien sûr que tout pourrait être autrement. Il suffirait de décaler un peu. De se décaler soi-même. C’est ce que je me dis en regardant les données du parcours sur mon traceur. Il y a le cap, le gain d’altitude, les pourcentages de tout, mais pas les potentialités des rencontres. Et finalement, c’est important… je crois. Je vais essayer de vous illustrer cela, même si j’ai la plume maladroite, et meme mal à gauche ; vous voyez ça commence déjà à déraper. C’est pour cela que je peine à m’exprimer clairement et que je vous remercie bien pour votre indulgence et votre compréhension. C’est que je viens un peu d’ailleurs.

Peu importe le moyen de déplacement, pourvu que je quitte le canapé. Même le canapé est bien, à l’occasion, mais en général le vélo, le canoë, la motocyclette ou le parachute sont préférables. Parce que le « rencontré » voit que vous venez de quelque part. et il voit comment vous êtes venu. Il n’est donc pas aussi surpris que Marie avec l’ange Gabriel, normal.

Moi, le « rencontrant », je bouge plus ou moins vite. Je vois passer les choses et les gens, je peux décider de ralentir ou de m’arrêter (je vais réfléchir pour le cas du parachute…) j’ai le choix. Notez que le point de vue des autres est un peu à l’inverse : ce sont eux qui vous voient passer. Et je ne vous parlerais pas du chat de Schrödinger qui se déplace dans le train dans le sens inverse de la marche. Comme dit mon ami cheminot : » et si ça avait été une chatte ? »

Revenons à nos moutons, ce qui fait déjà pas mal d’animaux dans cette histoire pourtant simple au départ. Il s’agit de 7 rencontres, fugitives.

La première n’est faite que d’un regard interrogateur. Ma voiture est garée sur la place d’un petit village à l’église de granit. Tilleuls taillés, boulangerie, bar restaurant. Je sors mon vélo aérodynamique et étrange de la voiture sous l’œil du patron de l’auberge. Il n’est pas très grand. Il a le visage rond, le teint bien nourri, il porte des lunettes, qui le font ressembler un peu à Francis Blanche, un comique décédé. Debout devant son établissement, je vois qu’il pourrait parler. Moi aussi peut-être.
Sur la gauche, sur son mur, se trouve une collection d‘animaux en poterie émaillée. Il y en a une bonne trentaine, de toutes les couleurs, des coqs, des lapins, des renards et que sais-je encore.

C’est un restaurant traditionnel. Quand on en ressort, on a plutôt trop mangé, mais tout le monde est content. Il faudra que nous discutions un jour. Mais pour le moment, je dois y aller.

Ma deuxième rencontre est très ephémère : je passe devant trois grand-mères aux cheveux blancs dans un abri bus. Elles discutent. Les derniers potins, la réunion du G8… je me dis que trois c’est un bon chiffre. Vu leur age, elles doivent avoir des tas de choses à raconter, l’occupation, l’après guerre… et des souvenirs en commun. C’est bien pour elles.
Quant à moi, je suis sur la route et je ne m’arrête pas. Elles m’ont vu, je pense.

Ma troisième rencontre est une marcheuse. Je la rattrape dans une ligne droite ; elle est de dos, du bon coté, le mollet vigoureux, brune, allant d’un bon pas en plein milieu de la campagne et sans gros sac à dos. Nous nous saluons d’un geste.

Je m’arrête un peu plus loin à un carrefour pour une pause méritée et nécessaire, doublée d’une prise de photo souvenir. Quelques instants plus tard, je la vois qui arrive et j’entends son accent étranger, néerlandais ou germanique, alors que je prononce quelque banalité d’usage. Je ne suis pas certain qu’elle ait vraiment compris. Sourire sympathique qui dit aussi « je n’ai pas l’intention de m’arrêter ». Le contact avec la faune locale n’est pas au programme. Je mange ma barre de céréale en paix.

Quelques minutes plus tard, je la double. Signes amicaux et sourires. Chacun son chemin, ou sa vitesse.

Ma quatrième rencontre est à la ferme. Je suis la pancarte « élevage de bisons ». Ça me fait un détour, mais j’ai déjà vu les lamas et les autruches, alors tant qu’à faire. Je pourrais vous parler de l’éleveur car c’est (forcément) un personnage, mais je préfère laisser faire votre imagination pour qu’il reste un peu de mystère. Au milieu des herbes hautes, dans le 4x4, c’est quasiment « out of Africa » dans le bocage. Ça secoue. Les males reproducteurs font l’impression qu’on attend d’eux. Le bisoneau qui tète aussi. J’ai à l’esprit l’image des bœufs musqués du grand nord, vraiment préhistoriques. Nous ne craignons rien dans la voiture. Ce sont des animaux sauvages mais ils ne nous voient pas dans notre boite de métal. Il y a des fourrures, du pâté et des attrapeurs de rêves (indiens et à plumes) dans la boutique.
L’Ouest. Toujours l’Ouest. Je vais finir par m’y retrouver.

C’est ce qui fait que ma cinquième rencontre est multiple. Je me sens un peu perdu. Je fixe le goudron. La chaleur et l’effort.. Je regarde passer une limace orange, lentement. Je m’arrête. Il ne faut pas passer quand la limace est à l’orange. Son corps attire mon regard comme un aimant. Puis je sursaute en entendant le cri d’un paon derrière la grille d’une demeure de maître, aux volets fermés. Ambiance Hitchcock tout d’un coup. Je redémarre progressivement et un peu plus loin un border-collie, un chien de troupeau, noir et blanc, me fait un bout de conduite. Un des rares chiens que j’apprécie. Un chien de travail (noble), et avec ce regard je lui donnerais même un bout de mon éclair au café, si j’en avais un. Il revient lui aussi à ses moutons.

Et me voici de retour sur la place du départ. Presque personne, sauf une silhouette courbée, une énorme clef de fer brillant à la main. Les oreilles bien dégagées dans l’air du soir, celui qu ne peut-être que le bedeau s’active devant le porche. J’entends comme un murmure d’Esméralda. Je me dis qu’il vaut mieux que je me hâte de rentrer. Sinon, l’archidiacre Frollo va finir par me faire arrêter par ses sbires. Témoin, gênant. A moins que Frodo n’apparaisse avec l’anneau de Sauron.

Sept : chiffre fatidique. Ben oui. Ma septième rencontre c’est vous, à qui je raconte. Mais est-ce vraiment une rencontre ? Ou juste un signe du destin qui me vaudra peut être une bière fraîche au coin du comptoir du bar, un jour….aux cieux.


Pascal Legrand

Visiteurs : 442

Retour à l'accueil