LA BOUSE ET LA BRUME 2008-06-30

LA BOUSE ET LA BRUME

C'était le weekend dernier, mais qu'importe lorsqu'il s'agit d'expériences intemporelles.
Comme vous le savez, je vole, entre autre à l'aide d'un de ces chiffons gonflables qu'on appelle parapente, car il vous protège de la pente, qui tue si on la percute trop vite.

Par rapport à la chute d'un objet ou d'un sujet, le vol implique une maîtrise, une volonté, une direction, fut-elle passagère « et avec une forte poitrine » ajoute immédiatement mon ami cheminot qui aime les jeux de mots. C'est donc un abus de langage pour moi de dire que le ballon à air chaud vole. Il ne fait que flotter, et se déplacer certes, porté par le vent vers la zénitude profonde d'un atterrissage incertain. nec mergitur,mon œil ! Mais, bon.

En cette journée chaude de juin, il y a peu d'air chauffé qui monte car la masse d'air est déjà trop chaude. Les corps baignent dans une sueur moite. Nos vols ressemblent à des sauts de puces irritées par des piqûres d'acariens sortis du matelas de bruyère et myrtilliers. De retour sur terre, je m'affale ainsi que ma voile, l'air sortant des caissons comme d'un accordéon fatigué qui s'empile en rafale, Les pieds dans les fougères si mon équipement était moins lourd, j'irais peut être là-bas,, plus loin, à l'ombre du pin. Mais pour être prêt à repartir, je vais rester dans la pente, dans ces herbes hautes où rodent les tiques. Je me laisse tomber, le maigre souffle d'air s’éteint. La mouche qui me suivait a dû appeler ses collègues. il y en a un essaim qui tourne autour de moi comme des étourneaux. Ce ne sont pas de grosses mouches, celles qui suivent en vaches. les mouvements de main et de bras, un peu énervés, ne chassent pas le bruit. J'en viendrais presque à souhaiter entendre un jet passer au-dessus de ma tête en rase- motte pour les "barbecuire" au réacteur. Insectes riches en protéines. Qu'est-ce qu'elles me veulent ? Mon âme, ma conscience, ma sueur ? Je vais finir par m'interroger comme le poète cherchant sa douleur... ça va finir par me gratter.

A moins qu'un de ces cumulus joufflus et bourgeonnant n'aspire d'un coup toute cette racaille qui m'importune...en attendant une petite brise, je me roule en boule, je m'atomise. Je sens bien que je communique avec la nature dans mon nid de verdure.

Jamais je n'ai eu autant l'impression d'être une bouse. Heureusement, personne ne m'a marché dessus, ou dedans. Bien évidement, après ce genre de transmogrification, il faut se purifier et faire pénitence. L'alcool ou l'eau. Cette fois, j'ai choisi l'eau : j'ai donc pris une forme de pirogue pour m'aventurer sur les flots. Avec un barrage hydro. Les aventures de Monsieur Hulot, ou presque (c'est vous qui voyez lequel). Qu'importe que je rame ou pagaie, le chuintement est là sous l'étrave, les gouttes mouillent, le sillage se reforme :une glisse comme un vol, légère mais musculaire. Le poids des molécules.

La masse d'air est toujours chaude. Tout est mort. Tout pousse vite. Canards colverts au milieu des nénuphars jaunes. Presque les nymphéas. La jungle un peu plus loin. Les ronds des araignées d'eau se confondent avec l'occasionnelle goutte de pluie annonçant l'averse orageuse. Ciel gris.

J'arrive en vue du moulin. Le bruit de la chute est fort aujourd’hui. Mais en quelques instants, il est absorbé par celui de la pluie battante. Grosses gouttes. Je me réfugie sous les branches de grands arbres en parapluie débordant de la rive. Les deux chaises des pêcheurs sont vides. Les poissons attendent. Très vite, le calme revient.

Je reprends le courant et, devant moi s'est formé un brouillard, une brume, parfois épaisse, parfois plus légère, jusqu'à cinq mètres de hauteur, flottant au ras de l'eau. Je me retrouve ainsi dans un nuage quasi immobile, qui ondule en vagues qu'on croirait pouvoir surfer,ou toucher tout au moins. Elles sont là,les ondes et les ondines, je les vois. Saint Thomas s'y tromperait. Je décris un large cercle pour revenir dans mon nuage. Je m'immerge. Rives proches, pas d'amazone en vue, nul anaconda qui guette. Il y a de l'eau dans l'air, un parfum de rivière, libellule irisée, pourriture des bois ; des algues alanguies se pressent, souples, dans mes pales.

Je vais peut-être refaire encore un tour. Au bord du nuage attention à la chute. Merlin l'enchanteur passe, tenant le temps par la main. Il faut que j’assure, car il y a un lien entre le temps et l’espace. J’ai parfois des difficultés à faire tenir tout cela ensemble. Un bon conseil : ne pas oublier de s’hydrater.


Le bulot nébuleux

Coquillage nuage.

Amis du haut,
Etes-vous plus près des Dieux, des anges, des cygnes?
Sur le lac plombé par la lumière
D'orage
Se dessine un langage:
Feuilles tombées, bois flottant
Noir, et sans courant.

Je regarde un ciel singulier
En voyant des pluriels particuliers,
Et un quidam curieux
Écrivant sur papier blanc
Des voyelles de couleurs.
Pour faire le tour des eaux.

Les chemins s'enchevêtrent
Se mêlant de tout et de rien.
Je suis les traces des racines aériennes,
Des plantes épiphytes,
Et puis,
Pouit !
Tout éclate !



Pascal Legrand

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