UNE PAUSE 2008-04-03 UNE PAUSE Il y a des monuments de marbre, des statuettes de bois et des rêves de plumes. Pourrais-je résumer ma vie ainsi ? C’est en tout cas, ce qui a défilé devant moi au moment où l’on voit le petit film en accéléré. Je vous raconterai comment une autre fois. Ce sera plus rapide de voir d’abord le film, et plus distrayant car il y a la mise en scène des neurones réalisateurs. Mieux que la mémoire sélective, il y a la mémoire créative. Je réarrange les images, comme les phrases sur la page blanche. Il y a des règles à respecter bien sûr, pour qu’un minimum de sens apparaisse, suivi d’un sens annexe qui peut se combiner avec le premier pour en donner un troisième, comme des notes de musique qui s’enchaînent. Je suis plus mélodieux dans les bons jours. Car la partition est souvent cacophonique en me réveillant avec le sinus gauche bouché. Quand j’ai le Yin et le Yang décalés, les mots se heurtent sans se trouver. De vrais électrons sans leur noyau. Ils cherchent un retour à la paix d’un état stable, comme les personnages d’une pièce de Shakespeare.. Il y a un déclencheur à tout. C’est la gâchette qui fait partir le coup, l’explosion, quand la bête et la balle s’élancent et ne sont plus sous votre contrôle, c’est à ce moment que les ennuis commencent, à l’instant où la fumée sort du canon. Après il faut rechercher les mobiles, les indices et les regards langoureux pour réécrire l’histoire. C’est un métier, dit-on. Un coup d’œil sur la carte, et quand je vois sur la côte un mouillage circulaire, cela attire toujours mon attention, comme un vide à remplir, comme le mystère d’un cercle inachevé (il faut bien une passe pour entrer). Je ne parle pas d’atolls lointains et coralliens, poussant sur leur volcan englouti, mais plutôt de refuge de pirates, naufrageurs s’abstenir. Survolez la côte au nord du Portugal et la côte est de la Corse (un peu au sud). Vous verrez ce que je veux dire. Rondinara et Sao Martinho. Voilà un décor, avec un peu de sable, un peu de dune où la végétation résiste encore aux tempêtes d’hiver. Au centre une jonque blanche de coque, aux bambous de lattes vernis. Une jonque occidentale pour tout dire, sinon elle ne serait pas là, à ce jour, et à cette heure. Il me semble l’avoir déjà vue, les voiles en ciseau, glisser lentement entre les fortifications de l’entrée d’un port de l’époque des conquistadores. Quant à savoir si la jonque vous emmène plus loin par ses qualités marines que le drakkar viking, c’est à voir. Au-delà du promontoire, la mer respire sur un haut-fond qui rend l’entrée difficile par gros temps, et qui lève en cette belle journée une vague solitaire, paresseusement et majestueusement déferlante selon une fréquence un peu irrégulière. D’où je me tiens debout, je devine sa transparence quand j’évalue sa pente. Je suis fait de vide et d’eau, quelques molécules, comme l’écume blanche qui un instant avance puis s’efface en lignes de bulles, vapeur d’eau des sillages d’avions à réaction, les lignes droites se perdent ; seule, une algue atteint le rivage. Je suis venu voir le paysage. Je n’aime pas marcher dans le sable mou ; je me suis assis. L’horizon est là. Moi aussi. Un peu plus loin, un reflet d’ambre souligne la courbe d’un corps allongé, une femme fluide, qui se coule dans le paysage ; trop loin pour voir son visage. Je veux le croire plus doux que celui de la victoire de Samothrace, celle qui a perdu la tête. Ça arrive. C’est à éviter quand on déploie ses ailes. L’envolée lyrique est difficile ; Charybde n’est pas loin de Scylla. Il y a de multiples histoires de rochers meurtriers (rochers des vierges, des Lorelei et des pendus), d’où personne n’a pu s’élancer, sauf l’ange lui-même, et quel saut ! J’imagine la dame qui vole, Spirit of Ecstasy, Nike, la victoire en grec, sans empreintes sur le sable. J’aime bien regarder le paysage. Je le parcours d’un regard, et c’est moins fatiguant que de monter et descendre à pied. Je ne chasse ni le lapin ni le naturel. Surtout pas le mien. Parfois, c’est l’humeur au naturel. De temps en temps c’est sauce moutarde. Le poisson frais c’est généralement mieux que la conserve, mais j’ai fait de gros progrès sur le goût, et la traçabilité, c’est rien de le dire. Je joue aussi à poisson-vole. Je note fréquemment les points de départ de mes sautes d’humeur. Je peux ainsi essayer de resauter quand je veux. En gardant la tête sur les épaules. Je la laisse osciller un peu, comme le cou d’une oie migratrice, au rythme des battements des ailes. Je vois passer tous les ans les bernaches brunes/noires et blanches. J’entends les grues. Je connais les cormorans. Mais à cet instant, je vois un oiseau aux plumes bleu foncé, presque gris argenté, gros comme trois pigeons (ou deux chapons), qui vole lourdement vers moi de ses toutes petites ailes. Je m’interroge. Cet inconnu serait-il le didus ineptus rebaptisé raphus cucullatus, le dronte ou encore le dodo, que l’on dit disparu, éteint, ou est-ce au contraire un oiseau complètement allumé défiant les lois de la pesanteur et de la physique ? Ne serait ce pas plutôt un drone savamment dessiné par nos services les plus secrets ? Je lui verrais presque comme une auréole. Qu’est donc que ce saint drone ? La dernière fois que j’ai vu un dodo, c’était dans « Alice au pays des merveilles ». Peut-être me suis-je transporté dans un monde virtuel, au gré de ma contemplation. Suis-je victime d’une impression rétinienne persistante. Je ne dors pourtant pas en ce moment sur mon oreiller de plume. L’oiseau dodu disparaît derrière une dune. Au large la mer scintille, vibre, m’éblouit. Le cercle du mouillage semble se refermer. La jonque hisse lentement ses voiles ; Je crois que pour moi aussi, l’heure est venue de me mettre en route. C’est toujours difficile de marcher dans le sable mou. Et dans certains cas, ça peut durer longtemps. Je verrai peut être des mirages. Pascal Legrand Visiteurs : 245 Retour à l'accueil |