NOMAD'S LAND 2008-03-28

NOMAD'S LAND

Je ne cours pas plus vite que la balle.
Non, ce n’est pas de celle du chien dont je parle.
La balle du temps, peut-être.

Celle du 6 coups. Celle du chargeur, avec le geste qui va bien quand il est vide, pour enclencher le suivant ; le fruit de l’entraînement, et ensuite tu regardes dans le viseur pour voir qui tu vas descendre, sachant qu’en face quelqu’un fait la même chose que toi.

C’est une vision de la vie qui date un peu (si vis pacem para bellum – putain de culture !) mais qui a toujours cours. J’ai vu que le président avait baptisé notre nouveau sous-marin nucléaire. Beaucoup moins spectaculaire et moins visible que le porte-avion. Rapport qualité prix, c’est dur à comparer. Et qu’est ce que ça peut faire, de toute façon, vous paierez, et moi aussi. Ne vous inquiétez pas nous ferons des économies sur les bombardiers-chasseurs à longue portée. Heureux ?

J’aime l’aérodynamisme de la balle. Parce qu’il est mauvais. Trop d’énergie gaspillée pour rien. Une traînée turbulente. Distorsion dans les écoulements des flots naturels. Il y a eu une explosion, une détonation, une mise à feu (Jeanne d’Arc) une mise à mort du silence.

Je veux juste le bruit de l’air et le suintement de l’eau.

Le dauphin, pas la torpille. L’oiseau, pas la bombe. Trop d’images de geurre, de flammes et de sang. « Blood sweat and tears », c’est du passé.

Quand je vois où je suis, je me le demande.

Au milieu des murs effondrés, des poubelles tordues, des bois calcinés, noir et poussière. Gravas de banlieue, pneus usés, palettes déchiquetées. Echardes.

L’univers de l’entraînement quotidien. Mon monde. On est très actifs ici. Un peu secrets, mais en forme. On suit la fonction en quelque sorte. Architecture de champ de bataille. Dans le style « post 9/11 » ? Pour faire plus vrai, ils nous larguent de la poussière de ciment, lors de passages rugissant à basse altitude. C’est plus réaliste que le jeu vidéo. Avec le masque, c’est supportable.

Quand même, ces entraînements sont fatigants, Yvette, si tu jouais plutôt de la clarinette, avant que je pète les plombs ; façon de parler, bien sûr. Je supporte la pression, valve de sécurité incluse. Capteur fusible. No fear.

Il m’arrive, le matin, de me réveiller avec d’étranges mots dans la tête – panzerdivisionen, ou bien fuckadoodledoo – normalement, ça passe comme une giboulée de mars. Mais parfois, il y a comme une barre. LoL, comme ont dit maintenant. MDR.

Paques dans deux jours. Je me demande si j’attends la résurrection ou la fin du ramadan. Je vais aller voir si je trouve des œufs en chocolat cachés quelque part.

Par terre, c’est du calcaire, et le calcaire, c’est plein de trous, de galeries, de chambres creusées par l’eau, des boyaux disent les spéléologues, dans lesquels on avance comme dans les entrailles de la terre, entre les stalagmites et les stalactites, qui poussent comme des tumeurs. C’est un ventre que ce sol, mais aimerait-on vraiment s’y réfugier, sachant tout ce qui s’y agglomère, et avec tous ces vers. Notre mère la terre. Oui, mais juste à la surface de la planète.

Je suis un être de surface, d’air et de trajectoire. Pas de profondeur, de pression ou d’accumulation. Tout a ses risques et ses inconvénients. Le bunker n’est pas ma tasse de thé. Je n’aime pas le béton du mur de l’atlantique et ses gros blockhaus penchés, à l’intérieur vide, humide souvent, où il ne reste que les emplacements des rails des canons, qui rouillent encore.

Ça ne se fait plus tout cela aujourd’hui. Il faut descendre bien plus profond, à cause des radiations, pour obtenir une bonne protection.

Les foreuses se sont bien vendues, grâce à la publicité subliminale, alors que le risque de retombées est faible, comparé à l’investissement. Tandis que le risque de tomber sur une mine anti personnelle oubliée par les démineurs est bien réel. Il y en a eu tellement. Les vieilles bombes primitives des premières guerres mondiales se retrouvaient plus de 50 ans après, alors vous pensez bien qu’avec le progrès, nos prédécesseurs immédiats ont fait bien mieux. « Nous empruntons la terre à nos enfants » disaient-ils. Je crois qu’il va falloir renégocier les taux de remboursement, ou mettre la clef de la banque sous la porte. Quoiqu’en faisant sauter la banque, il parait qu’il y a de l’argent à gagner ! Mais nous n’en sommes plus à l’argent bien sûr. Vieille notion.

Un collier de détonateurs, c’est tout aussi parlant comme symbole de pouvoir, un peu comme des dents de requins. C’est culturel. Tout est signe, je veux bien vous croire. Mais il faut quand même aller les chercher les détonateurs. Ça rend service à la société ; c’est pour cela que c’est une récompense estimée, il y a une reconnaissance sociale.

Je le trouve bien ce camp d’entraînement ; je suis content d’avoir été sélectionné. Il faut dire qu’ils ont bien recruté récemment, et des deux cotés de la barrière. Toujours l’histoire du missile et de l’anti-missile. « Si, si m’sieur, c’est lui qui a commencé. M’enfin ! »

Quand même, avec les enfants, c’est embêtant. Sans compter qu’il y a des gens, beaucoup même, qui aiment le chocolat, alors c’est tentant de respecter les traditions. « A Rome, fais comme les romains ! » Mais, ça ne s’est pas fait en un jour, la mondialisation des mines emballées. Je peux vous le dire. Il y a des gens qui étaient contre.

Allez, faut que j’y aille, sinon je vais me faire sonner les cloches ! Démineur d’oeufs de Pâques, c’est quand même dur comme turbin.


Pascal Legrand

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