RIEN DE NOUVEAU 2008-02-27

RIEN DE NOUVEAU


« De nos jours et à nos ages, c’est bien le diable si tu ne connais pas quelqu’un qui a un cancer »

L’homme qui me parle a les cheveux gris-blanc, comme moi. Ils sont plutôt courts hormis une petite mèche en haut du cou, une pointe d’originalité. Il n’a pas de moustache, mais je l’imagine bien avec ; il aurait fait assez gaulois, un peu Astérix plutôt qu’Obelix forcément.

- Jean Roche, mais pas Beaubois, dit-il en se présentant
- Dommage, répondis-je, j’aime bien les canapés, et j’ai bien connu votre frère Stéphane.

Comme vous voyez, je ne me laisse pas prendre au dépourvu dans la conversation. Je sais dégainer. Mais le plus souvent, de nos jours, il faut savoir ne pas tirer pour garder des munitions en magasin. Plus que jamais, le silence est d’or, celui des armes et celui des mots. Donc, le plus souvent, je me tais. Suis-je si atypique pour autant ? Allez vous me laisser à l’écart ? Seul, sans argent, sans amour et sans verre de rouge ?

C’est dans un bistrot de campagne que je rencontre Jean, au bout d’une petite route mal goudronnée entre sapins et châtaigniers. Nous roulons tous les deux vers l’ouest. Celui du mythe et du soleil couchant. Aujourd’hui, être à l’ouest, c’est être un peu dingue. Il y a de cela aussi dans nos chevauchées fantastiques ; nous partons à la conquête d’un monde meilleur. John Wayne et John Ford, mais plutôt avec Jolly Jumper et Rantamplan qu’avec Rintintin.

« Je vous parle d’une temps que les moins de 20 ans …. ». Et moi, je vous dis que les jeunes aujourd’hui connaissent tout grâce à internet, c’est juste qu’ils n’ont pas encore eu le temps de faire toutes les pages.

Easy Rider. Laisse ronronner le moteur. Le moteur, c’est nos jambes. Jean, c’est un papy flingueur du vélo, mais il s’est calmé par rapport à sa jeunesse, du temps où on l’appelait Jeannot, quand il prenait des mélanges magiques qui lui donnaient la pêche au teint, tout comme au gros. Et le soir, je ne vous raconte pas…

Il a survécu, sans les cheveux, et rien à voir avec la chimio. J’ai vu les photos : à 30 ans, il était déjà chauve.

A quoi ça sert de discuter le coup avec un cycliste de rencontre, assis à partager un mauvais café crème pour refaire le monde ? Bien obligé, le sans alcool, maintenant qu’il y a des heures limites pour les commandes de verre de rouge (et sauf ordonnance contre le cholestérol). Ah les nouvelles lois !

Mais c’est pour notre sécurité. Et nous avons bien conscience d’être des survivants. Comme nous avons tous les deux déjà refusé, involontairement, une ou deux priorités, nous avons le sentiment de ne pas mériter le sursis, de devoir notre vie à un moment de clémence des autres usagers. Alors de temps en temps, ça s’arrose ! Quand les rescapés se rencontrent.

Rebels with a cause. Sécurité routière. Arrosée de proverbes chinois : Long est le chemin de la sagesse, petit le trou de la crevaison. Et vous me chercherez le chameau (chinois) et le chas d’une aiguille dans la motte de foin du royaume des cieux.

C’est donc parce que ça se complique toujours de cette manière quand ça commence (la vie, et tout et tout) qu’il faut aller vers l’ouest, car on gagne du temps : à l’occident le soleil se couche plus tard. Je vous assure que si on se lève tard, on est gagnant. Certes, mon père disait que le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, et c’est pour cela que je suis toujours locataire. Et la terre, on l’emprunte à nos enfants… donc vu que je n’ai pas de progéniture, je n’ai pas les intérêts du prêt à rembourser. C’est qu’on peut en faire du chemin avec des lieux communs et sur des sentiers battus.

A l’ouest il y n’y a plus de fléchage. Cap 270. A vue de nez, c’est de là que viennent les vagues et le vent dominant sous nos latitudes. Tu changes de latitude et tu es perdu. Ben oui. Finalement, le plus souvent, je reste ici. Je rêve de Sud aussi, pour mes autres longitudes. Je plane tel l’albatros moyen, je sonde comme la baleine (la nageoire en l’air). Je ne porterai pas une élégante queue de pie dans les réceptions mondaines (où je ne vais même pas en rêve). Tout cela fait très noir et blanc, comme l’orque, alors que je me sens plutôt couleur de fleurs de printemps. Nous sommes pleins de contradictions, n’est-il pas vrai ? Je me sens parfois pataud comme le phoque à fourrure qui se lève tard, et si attendrissant sur mon sable perché.

J’attends la vague d’Hokusaï, mais je préfère la mer de Winslow Homer (Jolie Brise) ou celle de Gustave Courbet car j’y vois des transparences. Une vague ça monte comme une côte, j’aime autant la surfer quand je peux.

Ça n’est pas que je veux fuir l’écume. Une mousse de plus ou de moins… Il faut savoir évaluer la pente pour esquiver le déferlement, et éviter la machine à laver. J’ai des rêves de glisse qui ne sont parfois que des fantasmes éphémères. Je cherche le réel. Il me faut un plaisir.

Jean me dit qu’il se sent comme Le Grand Rouleur Solitaire dans le désert de l’Arizona. Arizona dream. Des Cadillacs empilées jusqu’à la lune. Des tours de pizzas. Nous échangeons des visions confuses d’efforts futiles, des poissons volants, fuient devant nos étraves. La route est longue, surtout quand on est encore au bar.

Mais il faut bien un ancrage quelque part. Dans son jardin, il dit avoir une cheminée monumentale de l’Abbaye des Carmes, transformée en tonnelle décorée par une glycine. Chapeaux et ombrelles de 1900 sur les photos. Nous remontons le temps, mais les moines ont déserté les allées de buis, l’entrée du souterrain est obstrué par les ronces, une fleur de lys en pierre blanche est posée sur les pavés. Des clefs de voûte, des chapiteaux de colonne, des mordillons se promènent sur le gazon. Au fond, deux stèles mérovingiennes moussues : l’une laisse apparaître une croix dans son granit massif.

Je le crois. C’est son château. Il existe même si vous en doutez. Et quand bien même il ne s’agirait que des souvenirs d‘une imagination fertile (pas la mienne, je suis trop terre à terre), il me semble qu’il faudrait les prendre en compte. Nous ne nous connaissons que si peu ; mais il y a des ponts de communication, des taches accomplies lorsqu’on regarde en arrière. Nous avons parcouru une certaine route pour en arriver là, et ce que nous avons à dire à peut-être un sens, même s’il y a une part d’interprétation et de mystère. Je vous la laisse avec plaisir car il est bon de se gratter un peu les neurones de temps en temps.

Devant nous se dresse l’inconnu. Si c’est une barrière nous allons de toute façon la franchir, comme dans le rêve où l’on attend avec inquiétude le bus, le train, le ferry, l’avion. L’attente est parfois déplaisante, mais que savons nous du voyage, sinon ce que nous connaissons du trajet accompli ? C’est mieux si les bagages sont prêts, et c’est plus pratique de voyager léger. Le réservoir est rempli mais pour aller quelque part il faut le vider. La route sans fin vers l’ouest, le ruban d’asphalte interminable n’est qu’un mythe. Même la planète va manquer de carburant un jour.

Alors avec Jean, nous nous sommes dit que nous allions reprendre la route, brûler quelques calories, histoire de continuer à monter les côtes, pour voir ce qu’il y a de l’autre coté de la montagne. Bien sur, nous aurions pu rester à l’auberge (chambres d’hôtes), mais il y a cette espèce de pulsion qui nous pousse à continuer. Si nous nous croisons à nouveau il n’y a pas de raison que nous n’ayons pas de belles histoires à nous raconter.

PS ceci est une fiction, même si certains font du vélo ou ont des cheminées.


Pascal Legrand

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