NAMIB 2008-01-20

NAMIB RIEN, MORBEUX

« Ah l’exotisme ! » me dit-il en sortant sa poubelle à roulettes devant sa petite villa sans étage.
« Tu jettes ton sac plastique pas trié dans la rue n’importe quel jour ! C’est ça le tiers monde, les déchets ramassés tous les jours ! Un luxe aujourd’hui chez nous, vu les impôts locaux. Mais faut pas se voiler la face, y a pas que des avantages. »

Ouais, quand on l’entend comme ça, il fait un peu beauf, mon voisin Roger, mais en fait pas beaucoup plus que moi. On a tous les deux le tri sélectif. On ne jette pas les bouteilles, on les boit ! Et ce dialogue n’est qu’une couverture pour se tenir chaud l’hiver.

Roger est un vieux baroudeur. Il a fait tous les continents, avec une prédilection pour les pays où la couche d’ozone est plus mince. Forcément ça a laissé des traces dans son crâne dégarni. D’après ce qu’il m’a raconté, c’est un ancien agent du Maussade, une association de bienfaiteurs qui combat la morosité, dans l’humour, l’ironie et le cynisme aussi, à l’occasion.

Il me donne rendez-vous devant l’église St Michel, là où il y a sur la petite place deux lions de pierre bien usés, et pas comme la tombe de Jim Morrison. C’est du vieux granit un peu jaune qui s’assombrit sous la pluie.

Les bêtes sont si bien arrondies par l’érosion qu’on pourrait les prendre pour des nounours. En fait, j’aime mieux les peluches que les vrais lions. Ça mange moins, et par les temps qui courent il faut préserver l’énergie pour préserver la nature.

Je ne crois pas aux signes, mais c’est là, assis sur le rebord de la fontaine, que nous avons commencé à discuter. C’est comme le coin de la nappe du bistro où tu commences à dessiner un projet fabuleux. Là tout était dans l’air, à l’ombre de la flèche du clocher.

- « c’est jamais simple, me dit Roger. Il y a deux choses, peut-être même trois. Les diamants, la plante et le cas du mouton cloné farci. Le Maussade voudrait nous envoyer voir car il parait que ça bouge. On ne peut pas tout faire sur internet, tu comprends ? »

Ça, je comprenais d’autant mieux que la séquence mot de passe, code d’accès, identifiant, numéro de code… commençait à me porter sur les nerfs. Initiation, validation, compression, enregistrement. Oui, enregistrer mes bagages pour le désert, pour un bon lavage qui me permette de me rappeler mon nom, comme dit la chanson « un cheval sans nom ».

- « Les voyages forment la jeunesse. Il faut partir avant d’avoir de l’age, dit Roger, ça rime avec clonage. Quand ça rime, on ne sait plus où l’on va. La rime, c’est du domaine de l’affectif, comme les terminaisons en us en latin qui te rappellent ta jeunesse sur les bancs de l’école. Annus mirabilis….
- Mirabliis : c’est cela même. Mais Welwitschia mirabilis, la plante considérée comme un fossile vivant, la plante gymnosperme, je ne te dis que cela. Quand tu la vois en photo, elle fait un peu affalée. Soit c’est l’heure, et il fait très chaud, soit c’est après sa fête, et le tracteur lui est passé dessus. Mais derrière son look de salade cuite, elle contient des enzymes, des bactéries, des chromosomes, mélangés avec des propriétés terribles, potentiellement, et justement, pour favoriser le ramollissement cérébral, c’est une arme destructive qui n’est pas encore maîtrisée par les grands réseaux, une arme de paix bien sûr puisqu’elle transforme tous les décisionnaires en grosses légumes, généraux compris.
- Il y a les fleurs–pierres, trompeuses, qu’on appelle succulentes. C’est un endroit où il faut être prudent avec la flore. Mais pas de carnivores comme chez nous. La drosera ne survivrait pas à la sécheresse
- Il y a les arbres carquois qui me laissent pantois.
- Je t’arrête, Roger. Attention, il y a une rime qui se forme.
- C’est qu’il est temps de passer au 2ème axe de recherche. Après le x, le y. les services nous ont communiqué les courbes de Dollyramme. C’est sérieux.
- Ça fait mal à la tête. Je suppose que tu as lu « la course du mouton sauvage » (Haruki Murakami) ?
- Mon expérience du mouton se limite à la vente pour l’Aïd El Kebir, mais c’est quand même pour cela qu’ils m’ont recruté. C’est comme ça que je suis devenu l’agent TR4-800 (numéro vert). Moi j’avais pensé à Agent orange mais ils ont trouvé que ça faisait trop défoliant. Les goûts et les couleurs. C’était pourtant plus en rapport avec le pays rouge-orange. Les oxydes de fer. Comme dans les épinards, et c’est vert aussi, et ça rime avec pinard, c’est pour cela qu’ils ont envoyé aussi l’agent Pinard. Il y a de tout dans l’équipe.

Etosha, Kalahari, Namib… si c’est pas de l’exotisme ! Et sans palmier ni lagon. Avec de mines de diamant. Ça change de l’opale d’Australie, mais c’est un autre pays rouge où il n’y a personne. Hennig von Burgsdorf y a construit une ville et Hansheinrich von Wolf un château. Etranges personnages. Terres couleur sang, celui des montons sacrifiés. Reliefs zébrés en peau de crocodile. Une immensité de rêve qui rend fou. On dit qu’un apôtre du nom de Jean y a erré en cherchant des dolines et en psalmodiant des formules magiques où il est question de VZ et de pruneaux cuits. C’est le Z du troisième axe de recherche.

Il n’a trouvé que des Vleis, des lacs asséchés, évoquant la transylvaine enneigée, mais sans vampire et sans pont. Rien à voir avec le Mékong et Thieu pour autant.

Revenons à nos moutons. Une certaine dame à forte poitrine servirait dans son restaurant de la tête d’ovin farcie. Fille d’émigrés russes, Alioucha Panazolovna, s’est installée dans ce pays bien avant l’indépendance, alors qu’il s’appelait encore l’Afrique du Sud de l’Ouest.
Même si c’est un peu compliqué, et je n’y peux rien, on voit bien le lien qui a pu se tisser entre le diamant, le mouton, et les plantes aromatiques. Peut-être même que tu rencontreras la fille du clone. Alors tu signes ?

C’est cette conversation qui m’a conduit à quelques moments de réflexion.
Et je ne sais toujours pas si j’ai fini.


Pascal Legrand

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