LE REVE DE MA FEMME 2007-12-06



Je me sens toujours un peu ridicule quand je raconte, au bord de la piscine, comment j’ai réussi à convaincre ma femme de m’épouser. Je n’aime pas ces réceptions où il faut faire preuve d’originalité et être brillant, un cocktail coloré à la main. Je me sens bien chez moi, cognac et fauteuil de cuir. Ce qui ne veut pas dire que je sois conformiste ou casanier. C’est juste que je préfère rester discret. Mais dans ces soirées, il y en a toujours un qui ne manque pas de me harponner.

Ensuite, ils se liguent contre moi, j’en suis sûr, pour me flatter, me faire boire, me promettre la lune, afin que je leur livre mes secrets.

Au départ, c’est plutôt simple, notre rencontre à Mylène et moi : j’étais à la pêche dans la rivière, pas très loin de la sortie de l’estuaire un peu avant la renverse. L’arrière du Boston Whaler touchait presque le rocher, mais le temps était calme. J’avais mouillé l’ancre devant, et pour éviter d’éviter (c’est-à-dire de pivoter) je m’apprêtais à jeter un petit grappin léger de l’autre coté du rocher. Eh Oui.

« Aie, Imbécile, Crétin… » C’était Mylène en maillot de bain rouge. Le sang ne se voyait pas dessus, mais le dessous me plaisait. Je voyais juste le haut de sa poitrine qui flottait comme des boules de filets. En un instant, je compris l’intérêt de la protection de la nature, et le danger que courent les espèces menacées par les grappins volants.

Dans notre malchance commune, nous eûmes beaucoup de chance. J’ai eu du mal à la hisser à bord avec son épaule abîmée, mais au moins la conception du bateau m’a facilité la tache. En l’agrippant sous les aisselles, j’ai bien senti que le courant passait entre nous. C’est seulement des années plus tard que la raie électrique m’est venue à l’esprit.

We fell in love. Tombé dans l’amour. Avec quelques difficultés de communication. Elle aimait que je lui raconte des histoires de « pour toujours », de lagon bleu et de coraux, alors que l’estuaire est aussi vaseux que moi le matin, et donc plutôt marron-chocolat dès que la mer se lève, et moi je me lève après le café que Mylène m’apporte. Mes histoires sont finalement toujours comme ça, sans queue ni tête. Ou à moitié si on peut dire. C’est beau l’amour. Même avec les petits problèmes, genre reproduction possible associée. Nous ne pouvions sérieusement occulter la question : elle était belle, mais avec ma tronche, à quoi ressemblerait notre progéniture ? ADN, amiosynthèse, BTS et PhD ?

C’est pour cela qu’elle ne voulait pas m’épouser, alors qu’elle m’avait définitivement mis le grappin dessus à son tour.

Je me suis demandé si elle n’était pas enceinte quand elle a commencé à avoir des désirs bizarres. Nous prenions pourtant des précautions allant jusqu’à filtrer l’eau pour la lessive et la vaisselle. Il y a des choses qui paraissent impossibles.

Envies d’abord. Puis elle ne voulut plus manger de poisson. Les écailles la gênaient. J’ai moi-même eu une arête plantée en travers de la gorge, bien enfoncée dans les amygdales, et je peux comprendre que l’on ait des préférences nutritionnelles… Mais, ensuite, il y a eu le mobilier qui ne convenait plus ; mon canapé dénigré ! Mes tableaux qui n’évoquaient plus les paysages enchanteurs et idylliques d’avant. « Oui, j’ai changé » me dit-elle.

« Achète moi un vélo ».

De votre point de vue, je suis sûr que c’est une demande qui parait raisonnable, mais je connais bien ma femme. Il y avait anguille sous roche. Elle n’aime pas rouler, ni aller faire les courses, ni rien. Juste la plage et chez nous. Elle est un peu parano et trouve que les gens la regardent trop, et puis, disait-elle, avec mon ventre qui va grossir….

Mais pourquoi un vélo ?

Qu’avait-elle dans la tête ? elle e rappela que j’ai dit, avant, « tout ce que tu veux, ma chérie, pour toi j’irai décrocher la lune »

But a bike ! Une cyclopette peut-être…
Je restais éberlué, abattu, et dégingandé comme j’an ai l’habitude lorsque je suis frappé par un choc psychologique.

Il a bien fallu que je lui dise, que je lui rappelle ce qu’elle cherche toujours à oublier depuis notre première rencontre :
« Mylène, tu es une sirène ! Une vraie. Avec ta nageoire.

Comment veux tu pédaler ?




Pascal Legrand

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