LES 3 PIGEONS 2007-11-18 Le village est au milieu de la plaine. Rien autour que des champs. L’orée d’un bois dans le lointain. Ce n’est pas le désert. C’est sur l’ancienne nationale. Ca aurait pu s’appeler les 4 routes, mais c’est La Croix Blanche. Il y a une croix au carrefour. Eglise et monument aux morts, avec drapeaux pour les fêtes. Mais plus de mairie ni de poste. Regroupement communal oblige. C’est là que Georges le chauve a racheté un restaurant. C’est là que grâce à son talent en cuisine les gens viennent manger régulièrement. Pas de problème pour se garer. Pas trop de frais, d’impôts locaux et tout ça. Je le connais depuis longtemps car le terrain d’aviation n’est pas loin. Nous, les pilotes de vol libre, nous étions plutôt clients du bar. Nous abandonnions les mottes de terre à maïs pour les boiseries d’acajou sur tapis épais, air conditionné. Cool. Surtout l’été canicule. Nous n’avions pas les mêmes horaires que les clients « normaux » et avec nous le chauve était plus détendu sous sa toque que pendant le coup de feu. Il venait discuter un peu : - « Alors, les fils d’Icare, on est sortis du labyrinthe ? « Nous somme habitués. Le mythe. - « Tu vas pas le croire, George, mais avec la chaleur qu’il fait au soleil ; le carbone de la barre de contrôle a fondu derrière la vitre arrière… Je plaisante, mais c’est comme ça que naissent les légendes. A faire fondre la calotte glacière, mon frère ! A déglacer les seins de la sorcière ! On se croirait dans la Mancha avec Don Quichotte et les moulins. - Tu aurais dû appeler ton restaurant les 3 vautours !! - Vous êtes comme les pêcheurs, vous exagérez toujours. Mais je vais vous dire pourquoi je l’ai appelé les 3 pigeons. Ce n’est peut-être pas ce que vous croyez…. Georges aimait parfois raconter. « Au départ, il parait que c’était une légende hawaïenne, mais je l’ai un peu adaptée, surtout pour les pigeons. Et pour l’unité de lieu, de temps et d’action. C’est comme la cuisine. Il faut que ça se tienne. Les pâtés de poissons par exemple. Mais, bon, là ce sont des pigeons. Et en ce temps là, il y avait un dieu des pigeons, un peu comme aujourd’hui, il y a un dieu de la consommation. Hors donc le Grand Dieu les rassemble tous les 3 et leur dit : « nous allons voir lequel d’entre vous. » Point. Ils étaient surpris, les 3. Marcel, celui avec les ailes brillantes se rappela de l’histoire de la différence entre un pigeon, et se dit que Dieu faisait peut-être de l’humour. Gérard, celui au bec jaune, se dit que les voies du Seigneur requièrent des LED puissantes et des accus rechargeables. Louis avait la tête tournée à ce moment-là et il n’a pas bien entendu. Donc il attendit. Ce qui lui était dû, une série d’instructions précises comme Dieu sait le faire, genre 10 commandements, péchés capitaux, et la liste des courses. En fait Dieu ajouta : c’est une question de hauteur, de vision et de perspective sur le monde. C’est vous qui verrez. Vous allez monter vers le firmament, plafond 3000 maxi, et certains monteront plus haut et plus vite que d’autres. Et quand je dirais GO vous partirez tout droit vers votre destin loin là bas. Et comme c’était la volonté de Dieu et que Marcel, Gérard et Louis étaient des pigeons de droit divin, c’est çe qui se passa. Sauf qu’une fois tout là-haut pour ceux du bas, ce n’était pas facile de dire qui était qui. Kiki le perroquet faisait l’arbitre au départ. Ils étaient tous les 3 assez concentrés, et centrés dans la colonne d’air ascendante. Le cerveau du pigeon n’est pas beaucoup plus gros qu’un œuf de pigeon, ou qu’un grêlon moyen, mais il a une boussole/GPS intégré, même sur les modèles d’entrée de gamme. Et au top départ, c’est un peu la surprise car Marcel part vers l’Ouest, Gérard vers le Sud et Louis vers l’Est. Le spectateur se demande pourquoi Dieu n’a pas pris 4 pigeons afin qu’il y en ai un vers le Nord. Mais la question reste sans réponse, et les pigeons volants n’ont pas à justifier leur choix. Ils sont libres de leur libre-arbitre, et Kiki est de retour sur son perchoir. Marcel aime le couchant. Il est encore tôt. Il n’a pas encore le soleil dans l’œil. Pas de vent de face pour le moment. Gérard flaire le calcaire et les truffes en direction de son pays natal. C’est un sentimental, aux pruneaux. Louis est joueur. Il a vu des nuages loin là-bas sur le plateau où l’attend le jackpot au feu. Tous les trois survolent villages et rivières, champs et ruisseaux ; comme des pigeons, battant souvent des ailes. On est loin de l’albatros poète. Le pigeon marche très bien pour picorer les graines ; avant le départ il a fait le plein de sa bosse de dromadaire et d’un élan prend l’air. Limite lyrique, c’est vrai. Mais avec le petit paquet sur le dos. Evidement, sans leur libre-arbitre intégré, ils auraient pu tous aller dans la même direction, mais finalement était-ce bien important vu que le voyageur est connu pour revenir au pigeonnier, tôt ou tard. Il n’y a pas de tourterelles dans mon histoire. Je sais. Je sais. Mais votre vue n’est pas assez bonne pour distinguer le sexe du pigeon. Si vous m’interrompez le plané final va être long. Marcel voit une ferme avec de belles dépendances et un beau tas de fumier. C’était avant les OGM ; il se sent un peu fatigué et le beau toit de tuiles avec son épi de faîtage le décide à se poser. Gérard est allé plus loin. Il y a des vignes et des raisins. Peut être même des cailles à l’armagnac. Qui sait. Ça sent le Sud-ouest où il fait bon vivre. Dernier battement d’aile pour le toit de l’église, au pied du clocher. La vue est belle. Louis est motivé. Il est sorti des gorges. Il a passé le pont. Les terres dénudées des plateaux s’offrent à lui. Encore quelques ascensions pour le plaisir ; et le voici, serein, ce qui pour un pigeon est assez inhabituel, en vue d’un château aux hautes tours. Sur la plus haute, une oriflamme lui indique un vent faible. Le soleil est descendu sur l’horizon, et il se pose sur le bon créneau. Ses muscles portent la mémoire du vol. la trace est dans le GPS bien sur. Indiscutablement, c’est lui qui a parcouru le plus long chemin, jusqu’au château de la princesse. Pourra-t-il faire le retour demain ? Et Dieu dans tout cela ? Dieu est content. En fait, il ne se faisait pas trop de soucis, mais il voit que ses pigeons sont semblables et différents à la fois. Il se repose un peu la question : « quelle est la différence entre un pigeon ? » Mais, ça, c’est son problème. Il y a Marcel, Gérard, Louis et les autres. Il y a tous les petits oiseaux et les vautours. Et Dieu décide de ne pas se prendre la tête et d’aller dormir. » Je vous re-sers une autre bière ? C’est la chute d’Icare. Heureusement qu’il était au-dessus de l’eau. Mais en ce temps là c’était très long de lancer les recherches et les secours, et finalement ils n’ont jamais retrouvé le corps. Je vous l’ai toujours dit : l’eau c’est dangereux ! » Il est comme ça Georges. Il a une bonne carte des vins, pas trop dans nos moyens. Il a amené les bières fraîches et il est retourné dans sa cuisine. Et comme ça vous n’aurez pas à demander pourquoi le restaurant s’appelle Les 3 pigeons. Pascal Legrand Visiteurs : 811 Retour à l'accueil |