L'ARAIGNEE DES VENTS 2007-10-27

Il y a des choses dont on se dit parfois qu'il vaudrait mieux les garder pour soi. D'un autre côté, j'ai mauvaise conscience. J'appartiens à un groupe où il y a une certaine solidarité. Ces informations peuvent être intéressantes pour beaucoup de gens. J'essaierai d'être précis mais je ne veux pas avoir d'ennui.

Je pratique le vol libre, deltaplane et parapente. Même les gens qui savent ce qu'est un planeur ont du mal à imaginer les vols que nous pouvons réaliser avec nos appareils. L'air, comme la mer, n'est pas le plancher des vaches. Et l'aventure est parfois en dehors de l'étable.

Quant à moi, je jure que je n'ai pas cherché la bagarre. Mon goût du risque va certes jusqu'à faire en sorte que mes pieds quittent le sol. C'est magique. Mais j'ai les charentaises qui chauffent sous le radiateur, prêtes à foncer sur le canapé, où je peux repasser mes vols dans ma tête. Je fais du repassage le dimanche quand il pleut.

Il m'arrive quand même de faire quelques kilomètres en vol. Entre 90 et 100 kilomètres je suis content. Comme je ne suis pas très rapide, je suis content longtemps. Je suis un peu fainéant, je vole souvent près de chez moi. Cela veut dire que je m'envole cap au sud-ouest en général. J'ai réussi une fois à partir vers le sud, une fois vers l'est, mais face au vent, je ne suis jamais allé loin.

Quand on me dit "libre comme l'air", je souris (en mon faible intérieur) car l'air n'est pas libre. Il est l'esclave des masses, des dépressions, des isobares, des obstacles qu'il doit contourner. Le vent est peut être fantasque, néanmoins, je vois qu'il m'emmène toujours dans la même direction ! L'air libre est un mythe, une ruse, comme l'Air Liquide. On a beau l'écrire sur des camions et des bidons, je n'y crois pas. Je crois ce que je bois, comme St Thomas.

Consciencieusement, je remplis mon carnet de vol, en y inscrivant la date, mon altitude maximum, la distance parcourue, et la moyenne lorsque j'ai la sensation d'avoir été rapide. Je me dis que ces données pourront me servir un jour. Je pense progresser dans mes choix.

C'est ainsi que par une journée grise, je feuilletais nonchalamment les pages de mon carnet à reliure de cuir. Je n'avais pas encore trouvé l'équation miracle des facteurs de la performance. En fait, j'étais peut-être doucement en train d'attaquer une petite sieste. Dans ma somnolence naissante, je remarquai pourtant que les lieux où je m'étais posé avaient un point commun : St Jean de Cole, la chapelle St Robert, St Christophe, St Avit, St Just, St Gence. Bien sûr, il y avait d'autres noms sans saints. Je me suis aussi posé près d'un château, invité pour le thé par le propriétaire : c'est banal. J'ai atterri dans un champ où j'ai eu la visite d'un lama : là, je me suis un peu interrogé sur les effets de l'altitude. J'ai également eu droit aux histoires amusantes des ouvriers agricoles ; j'en connais un qui a pissé dans le bénitier avec le curé. J'ai appris de ma femme qu'"elle est pas couillonne pour vous trouver là". Nous avons tous des anecdotes à raconter sur les atterrissages en campagne.

Mais il s'agissait là d'autre chose. J'avais l'intuition que tous ces saints voulaient me faire passer un message. Dieu sait que je n'ai pourtant pas la fibre très religieuse. Je fais plutôt dans le carbone. J'ai donc pris ma règle raide et noire d'encre à la main. J'ai étalé une carte sur la table. Je me suis amusé à relier tous ces points, un peu au hasard. Mes traits de crayon dessinaient un genre de rose des vents. Au centre, un peu au milieu de nulle part se dessinait un croisement remarquable, le nid de l'araignée. Il devait y avoir une signification à cela. J'étais "tombé" tout autour de ce point. Pour moi, il était clair que je devais m'y rendre. La force du destin me poussait sans ambiguïté. J’ai quand même fini ma sieste et attendu un rayon de soleil d'hiver. Ca ne volait pas ce jour-là. Je n'ai pas trouvé d'excuse pour rester sur mon canapé.

Je suis descendu de la voiture pour marcher jusqu'au point P, la carte d'état major à la main. Je n'étais pas très loin d'une mine de quartz réputée. La région est plutôt granitique, il y a de l'argile, une mine d'or, mais peu de calcaire, même si la Dordogne n'est pas si loin, avec les grottes de Lascaux et la vallée de l'homme. Je fus donc un peu surpris de me trouver sur une veine rappelant le relief karstique. Un endroit qui chauffe bien au soleil, pas de risque de se poser ici, le thermique vous partirait sous les pieds. J'avançais prudemment jusqu'au point P lorsque je vis une faille dans la roche. Elle semblait assez profonde, comme l'entrée de la grotte des brigands de mon enfance, une caverne d'Ali Baba que j'avais exploré avec mes camarades, sans y trouver le moindre trésor. C'est certainement ce souvenir et ma curiosité naturelle qui m'ont fait me glisser dans la faille, en espérant que la malédiction de ma rose des vents ésotérique n'allait pas tomber sur moi. Je ne suis pas du genre Indiana Jones, ni Tomb Raider. Je m'excuse pour toutes ces références littéraires. Il faisait sombre évidemment. Mes yeux de rapace avaient du mal à s'habituer à l'obscurité, mais comme je n 'ai pas d'aile de géant je pouvais marcher et ramper un peu. Je ne me suis pas enfoncé bien loin sous terre ; je n'aime déjà pas être sous un rocher en surplomb. Je levais les yeux sans arrêt pour voir ce qui allait me tomber dessus. C'est ainsi que j'ai vu le dessin.

Il ressortait bien sur le calcaire. Un homme avec des ailes. Pas un ange. Plutôt un petit bonhomme sorti de Tintin chez les Incas, avec ce qui me semblait être une armature de joncs ou de bambous sur les bras. On aurait dit une surface portante de palmes tressées. Il portait un tablier pendant jusqu'à ses genoux, et sur son torse nu je croyais voir des peintures de style amérindien. Un certain sourire se lisait sur son visage. Je vous le dis comme je l'ai vu. Je ne suis pas spécialiste es peinture rupestre. J'ai quand même été secoué par ce que je dois bien appeler ma découverte. Pour moi, c'était quelque chose de voir cette représentation d'homme volant, sous terre. Je comprends l'émerveillement de ceux qui ont pénétré dans les grottes célèbres, la grotte Chauvet par exemple. L'histoire du vol serait-elle remise en question ? J'étais convaincu qu'il ne s'agissait pas d'une plaisanterie d'un contemporain en mal de barbouillage. Au travers de la finesse du trait par delà les années écoulées, des millénaires sans doute, je percevais une sensibilité d'un autre âge.

L'homme semblait danser. Il avait l'air léger, les pieds en l'air, la coiffe de travers. Volait-il déjà, ou n'était-ce qu'une danse rituelle avant sa course vers un précipice qui s'est peut-être avéré mortel? Etait-ce la première tentative de vol plané ou de vol battu humain?

J'ai beaucoup hésité à m'adresser aux autorités compétentes. Les exemples récents m'ont dissuadé de le faire. Je ne cherche pas la célébrité et les ennuis. Je ne possède pas de terrains autour du site pour m'enrichir avec des baraques à frites, des restaurants et des boutiques souvenir. J'offre juste un peu de mystère et d'inconnu.

J'ai fait mon devoir. J'ai révélé l'existence d'un croquis important. Je n'en révélerai pas l'emplacement exact. En fait, je me dis que personne ne me croirait.


Pascal Legrand

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