VOL 2007-10-13

Je suis allongé sur le dos à prendre des photos des ailes me survolant. Je sens quelques graviers dans mon dos, mais le sol n’est pas trop dur. D’habitude, j’ai le vertige au bord du vide, sur une route de montagne par exemple, mais là, sur cette petite falaise, et allongé, tout va bien. Belle journée. Bon vent.

C’est le bord de mer. Air laminaire hormis les tourbillons qui agitent les herbes irrégulièrement sur le chemin qui longe la cassure. Les vaguelettes alignées donnent du relief et de la couleur aux eaux du pertuis.

J’ai volé, et je me suis vidé la tête en me concentrant sur mon pilotage. Seize mètres de dénivelé… une aile devant, une aile derrière. Une bande étroite de portance pour rester en l’air, marée haute, trois mètres de large de cailloux disponibles pour ne pas se poser en bas. Et je me suis aussi rempli la tête sans m’en rendre compte.

Je pose mon appareil photo. Je me sens plutôt bien. Pas de risque de tomber. Pas de risque de collision. Je ferme peut-être un peu les yeux, à peine, et je vois les falaises du Pas de Calais, les plages du Nord : Douvres, Étretat, Bray Dune… Les routes balayées par le sable comme vers El Goléa, où le goudron noir du Sahara qui disparaît dans le vent. C’est le temps qui passe.

Il y a la présence des fossiles dans le calcaire. Limons, vases, sédiments, blocs erratiques et effondrements. Au loin, des paquets de ciel passent comme des paquets de mer. D’un regard circulaire, je pourrais voir des phares, des forts, des clochers, des moulins, et tout un inventaire de coquillages.

Il y a des îles, et l’horizon. La respiration de la marée et le relief du vent.
Un personnage de Maupassant, d’Alvaro Mutis ou de Virginia Woolf debout face à la mer, au-dessus de la paroi jaune clair, un inconnu aux cheveux brun, mi Corto Maltese, mi Abdul Bashur, un voyageur, un capitaine de cargo quelque peu picaresque, contemplatif néanmoins pour un moment devant une palette de couleurs, des pierres, une ruine aux murs délabrés envahis par une végétation de ronces, la terre d’un champ de maïs où il n’y a plus que quelques fibres sèches, quelques tiges cassées. Pierre Loti en cerf volant. Gustave Moreau en pédalo.

La côte emmène forcement quelque part, et au-delà. Je verrais passer les avions de l’aéropostale, il y aurait des caps et des estuaires, des étendues de mangroves et des marécages de salicornes et de lilas de mer. Une ligne et un point qui définissent un espace, avec une chute suspendue à des fils presque invisibles, qui chantent comme une harpe éolienne datant du temps du rêve, des petits points de peintures aborigènes qui se fondent dans un impressionnisme plus flou. Un peu de Turner, sans les brumes.

J’ai posé les pieds sur un petit tapis d’herbe, en baissant la tête comme une mouette, en tendant mes orteils : derniers instants avant de toucher le sol, la portance au bout des doigts, dans le flux marin du soir qui s’annonce plus calme.

Il y a eu ces moments d’élévation face à l’océan, un souffle plus fort, une anfractuosité qui génère bizarrement plus d’altitude, le paysage qui se découvre un peu plus loin, l’aile qui mord dans une veine de puissance supérieure, plus de hauteur, un virage, et la vitesse qui fait défiler le sol rapidement, la tension d’une ligne droite qui s’étire sur un fil ténu pour aboutir à une autre courbe travaillée en finesse. Un vol, avec un décollage délicat, l’effort pour avancer et pousser mon joug, penché en avant vers la marche invisible qui m’a soulevé comme par un enchantement maîtrisé.

Instants passés, paysage présent, le vent souffle toujours ; le soleil descend mais il reste une permanence minérale qui suinte, une petite odeur d’iode et de sol sec, des poussières, des graines. Carte postale à l’ouest, un nuage voile l’astre qui va toucher l’eau. Vol d’aigrettes du soir vers les marais. Il est l’heure d’allumer les lanternes magiques.


















Pascal Legrand

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