HOMME D'AVENTURE 2007-10-06


Je vais vous raconter ça comme je l'ai fait pour mon copain Roger, le cheminot. Il dit que j'en fait toujours tout une histoire, mais ça c'est parce qu'il est accoudé au bar en train de lever son verre. Et comme je lui dis : "tout de même, Roger, j'aurais pu mourir !"

Evidement, lui ne roule pas à 60 en vélo. Faut dire aussi que son train est sur des rails, ça aide à aller droit. Je dois dire que j'ai un vélo aéro où je suis assis comme dans un fauteuil rapide. Mais ! Il y a toujours, comme au plus profond de la jungle équatoriale-tropicale, la présence du danger qui guette : la crevaison.

A plus de 60 dans les descentes, je trouve que mon petit casque est bien fragile pour faire face à un tout droit, perte de contrôle qui se terminerait forcément par terre. Dans un mur, ou sous un 35 tonnes. Failli mourir, je lui dis à Roger.

Même pas peur ou presque, vu que je montais en fait un long faux plat, et arrivé plutôt vers le haut, j'avais eu le temps de ralentir. Age, cigare, digestion, motivation,… ça vous fait traîner comme la pesanteur.

J'avais fait l'effort de m'habiller et de gonfler à la bonne pression, malgré une météo annonçant du crachin intermittent, qui semblait bel et bien se matérialiser selon les prévisions.

J'ai pédalé 7 km. Loin pour rentrer à pied en poussant le vélo le dos courbé. Trop près pour les secours en montagne. J'ai des rustines, de la colle, des démonte pneu, mais je ne prends pas la pompe pour être sûr de ne pas être tenté de réparer sur le bord de la route. C'est très dangereux, surtout par temps pluvieux ou mauvaise visibilité… Bref, je prends mon portable et j'appelle au secours comme tout le monde ou presque ; ma femme, évidemment. Mais là, elle était au travail, Roger réparait sa machine à laver, mais Fred avais ses RTT. 7 km en voiture, ça le fait. Comme je dis à Roger, c'est un peu pour cela que je ne fais pas 200 bornes, ça fait quand même plus loin s'il faut qu'on vienne te chercher. Il dit "ouais, ouais", parce qu'il fait du parapente et qu'il n'a pas fait 200 bornes non plus. En fait, 100 ça nous suffirait, en plus lui n'a même pas à pédaler.

Donc me voilà seul, à attendre assis sur une marche de granit limousin légèrement humide et un peu moussu sous le fessier, plutôt à l'abri de l'intermittence du crachin, grâce à ce grand bâtiment aux volets fermés qui borde l'hippodrome. Avec la longueur de la phrase on saisit bien que l'attente est un moment privilégié où tout peut arriver car le temps du mouvement est suspendu, et c'est là un des ressorts du suspense. Moi, j'attendais juste Fred et son berlingot même pas acidulé.

Même pas faim, ni froid. Même pas rincé, ni au propre ni au figuré. Pas perdu. Je savourais presque l'instant, tant il est vrai que n'avais rien d'autre à faire.

Au moins, mon déguisement garantit que l'on ne va pas me prendre pour un vagabond ou un chômeur à la recherche de travail. Ne riez pas, dans mes pérégrinations j'en ai vu d'autres. Ici personne alentour. J'ai malgré tout apperçu des VTT à qui j'aurais pu demander une pompe, mais je n'aime pas déranger.

Soudain… la porte de derrière moi s'ouvre. Le monsieur sursaute, surpris, plus que moi qui ai entendu le bruit. Un brun dans les 30 ans pas trop rasé. Je me demande ce qu'il fait dans ce bâtiment fermé, mais je ne lui demande pas. Il porte des vêtements de travail. Souriant dès que je lui dis que je suis à plat. J'ajoute "Oui, c'est un vélo aéro…." Blablabla, avantages, inconvénients….

Je vois son intérêt poli pour le progrès cycliste. Il doit préférer les chevaux. Pour conclure notre conversation (car je pense qu'il va partir, je termine par:
"Bref, je ne regrette pas d'avoir acheté ça, même si ça crève quand même".
-Ahaha, je pense bien, faut tout de même pédaler !

J'aime rencontrer des gens différents :c'est comme ça qu'on se remet en question. Je ne sais pas si je préfère être en question ou en réponse. A moins que ce soit moi qui soit différent? Ca dépend des moments. Comme je disais à Roger, l'essentiel pour le moment, c'est que je suis toujours vivant, toujours dans la file d'attente.


Pascal Legrand

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