LE DERNIER COL 2007-10-06

Ce n’était pas l’Aubisque ou le Tourmalet, et pourtant…..

«Allongez-vous et détendez-vous», me dit une femme aux cheveux argentés. «Je crois que c’est une position qui vous convient d’après ce que j’ai pu entendre »

Elle sait que je pratique le véloaéro, sur lequel je roule allongé sur le dos. Je vois bien qu’elle veut me mettre en confiance. Il n’y a pas un bruit. Est-ce que cela m’angoisse ou me relaxe ? Je ressens une certaine ambivalence.

Si je vous dis que toute ressemblance avec des situations ou des personnages ayant existé n’est que le pur fruit du hasard, je vois bien que vous allez avoir du mal à me croire. C’est pourtant souvent vrai. Si je vous dis que tout est vrai, vous allez me dire que j’affabule. Alors que c’est vrai que je n’ai jamais grimpé ni le Tourmalet, ni l’Aubisque.

Elle se pencha en avant, laissant entrevoir le V d’une poitrine ferme comme une vieille montagne ayant résisté à l’érosion du temps. « Laissez couler le monologue de votre homologue intérieur » dit-elle.

« Tout a commencé par une photo aérienne. J’y vois le serpent d’une route de montagne qui se tortille comme une tentatrice sur les pentes vertes où paît un bétail bovin. J’ignore si le reptile est une vipère, un cobra ou un naja.

Ces courbes sont attirantes et sensuelles, vu du dessus. J’ai cédé. J’ai passé le pont et les fantômes sont venus à ma rencontre comme dans Nosferatu. Il faut dire que j’avais déjà beaucoup roulé. J’étais déjà fatigué dans ma tête, dopé à l’adrénaline, l’endorphine (pas d’EPO) et que sais-je encore d’autres petites fines bues au détour des comptoirs où je faisais tamponner ma feuille de route. Ils voulaient savoir où j’étais, suivre ma piste, me contrôler. C’est sûr. Mais je ne suis pas devenu paranoïaque ; j’ai bien résisté.

Tous ces estaminets de bord de route avaient de grands pignons sur rue. Et les garçons me servaient des petits verres sur un triple plateau, afin de m’encourager, ou d’endormir ma vigilance. Parfois même, je voyais des serveuses blondes à forte poitrine.

Globalement, j’étais dans mon état normal mais ce n’est pas avec vous que je vais entamer une discussion sur la normalité. Et toutes ces chaînes auxquelles certains s’attachent c’est trop « heavy metal » pour moi. ? Je suis plutôt pour les rondeurs des monts de Vénus.

Non, je n’ai pas vu « gorges profondes ». Par contre, je sais que dans la région, en saison, on vend les melons fendus moins cher. C’est une bonne affaire.

Oui, nos moutons. Il y a un sacré bestiaire dans ces montagnes. Manquerais plus que des ours. Ah bon ? Quant à moi alors que je m’élevais lentement dans les méandres des épingles à cheveux, j’ai remarqué quelques vautours qui décrivaient des cercles au-dessus de moi. Je trouvais leur description très bonne, tout en surveillant ma carcasse. Je m’alimentais pour rester en chair et en os . Dans ma réalité.

Je sentais qu’insensiblement, les fantasmes se rapprochaient. Le temps passait lentement. Je soufflais et haletais. Oui, ma mère aussi ; vous me l’avez déjà faite celle-là, c’est de la déformation professionnelle. Non, je vous jure, je n’ai rien contre vos formes un peu enveloppées. Donc :

Je montais et je montais toujours. Quelques éphémères, phasmes, ou lucioles entraient dans mon champ de vision, comme des lanternes clignotantes, des lampions de retraite aux flambeaux de 14 juillet.

Non, il n’y avait pas d’autre vélo devant. J’étais le premier. Si j’ai eu des hallu ?

Oui, mais des carbones aussi. Oui, rigide.

Parfois, avec la fatigue, c’est un peu Picasso et la femme à la guitare qui me regarde de travers. J’essaye de ne pas sortir du cadre.

Illusion d’optique et confusion, ça arrive, effectivement. J’ai vu des diables et des anges qui courraient à mes cotés, agitant les uns des fourches (caudines et Shimano) et les autres des bombes de chantilly, ce qui est normal vu que j’aime bien les fraises chantilly. Oui, comme une sueur pure et angélique qui recouvrirait le fruit défendu tout en le mettant hors d’atteinte, le rendant d’autant plus désirable. Au restaurant, je mange les glaces en coupe à la cuillère. Dans la rue, il y a les cornets. Evidement, dans la rue il y a moins d’intimité. La glace, c’est bien pour les tendinites.

A peine à la moitié du dénivelé. On continue. Végétation de maquis ; le sol se cache à cause du vent. La fatigue, un arbre rare se dresse encore, un grand pin, un bon bain ou un chêne qu’on abat ; je m’égare, c’est le manque d’oxygène.

Le fossé me guette, tapi dans l’ombre de la paroi. Degré et pourcentage, comme l’alcool. Faut pas forcer. Je regarde l’objectif tout là-haut, et je vois l’obturateur. C’est comme ça que je me retrouve par terre : une erreur d’appréciation. Je monte le col tard, je vois le noir du goudron et je reste dedans un petit moment.

Pas le moindre trauma crânien, vue la vitesse d’escargot. Je voulais juste me faire un peu mousser le faux col avec une histoire de cliché souvenir, et maintenant, c’est dans ma chair que je sens le bleu, et une égratignure d’amour propre, qui me pousse à me relever, un peu comme Jésus avec la croix, mais en plus gai quand même. Si, si. Oui. Vulgairement j’en chie. Un retour au stade anal, vous croyez ?

Quoiqu’il en soit, c’est alors que je me dis qu’il faut faire diligence pour finir dans les temps. Je crains l’attaque des indiens du camion. Mes propos se font confus. Je me parle pour me motiver. Dans hordes de hussards en cuissards apparaissent armés de sales barbes. Ce n’est qu’un orage, un peu apocalyptique. Je vois le Kurt de Conrad dans une cabane. Il brandit une barde à papa géante. C’est le nuage qui m’engloutit dans des trombes d’eau.

Un retour à l’élément maternel évidement. Normal, je me rapproche du sommet, de l’éléphant maternel, de sa trompe et des troupeaux de gnous douloureusement sauvages.

Il ne s’agissait en fait que d’un ermite égaré, mais j’ai malgré tout apprécié de sentir une présence humaine en ces lieux désolés de solitude primaire. Un peu de baume au cœur.

- bôme, vous avez dit bôme, c’est bien cet appendice phallique qui, tel un beaupré fend l’air à l’avant de votre engin.

Oui, mais n’allez pas y voir un symbole, c’est jusque que je m’étais senti seul face à la Nature, à ma nature aussi, et il y a toujours un peu de peur à se découvrir. Suis-je bien celui que je croyais être ? Crise d’identité, vous croyez ?

Ah ! Changer ! Devenir autre ! La légende dit que l’ermite est un ancien chevalier, coureur de jupons, le chevalier Gambette, qui servait fidèlement l’impératrice des cimes, tout en redescendant dans la plaine fertile, du coté d’Itemissa Ouest. Et puis voilà qu’un jour, il tombe amoureux d’elle, se rend compte de la différence d’altitude sociale, de l’impossibilité de leur bonheur. Depuis, il a un peu perdu l’esprit et il erre aux abords des séracs et des ravines. Il vend des « produits » : de la vésicule de serpent pour donner du courage, et de la poudre de limace pilée, pour l’assaisonnement des mollusques (poulpe et calamars principalement). Oui. Je vais voir ce que je peux faire. Anecdote et digression. Je m’excuse. Je reviens à mon inutile et absurde quête.

Dans cette ascension, j‘ai eu des hauts et des bas résilles. A force de penser aux jambes. Ensuite, il y eu le tunnel, les entrailles de la terre, avec au bout la grande lumière blanche, la grande maîtresse.


Je ne vais pas vous dire ce que j’ai vu ensuite. C’est très personnel comme expérience. Je suis arrivé en haut. Mon Everest à moi, comme disent les journalistes. Le premier et le dernier. J’ai retrouvé l’innocence de l’enfance, le sens de la beauté, de la liberté, de la plénitude, du divin et du divan.

Je vais rester encore un peu allongé. Je me sens bien ici. D’autant mieux que, comme vous dites, « demain, il n’y a pas d’école ».


Pascal Legrand

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