QUO VADIS 2007-04-08

« Je dois vous avouer que j’aime être au-dessus des nuages ». je ne leur dis cela qu’après un certain temps, sinon, il y a toujours des malentendus.

Elles croient que je rêve, que j’ai la tête en l’air ou que je me prends pour le messie. Mais si, je vous assure. Alors que je suis rasé de propre tous les jours que Dieu fait. C’est Bic qui fait les rasoirs.

Et c’est très simple.

Surtout pour les montagnards qui savent bien qu’il suffit de grimper au-dessus de la couche ouatée pour bénéficier d’un panorama que certains croient réservé aux pilotes de jets. Plus la couche est base moins il y a besoin grimper. L’air froid d’hiver est favorable aux stagnations dans les vallées, surtout si vous le lestez d’un peu de pollution en particules variées et avariées.

Seulement, vers chez moi, il n’y a pas de hauts sommets, tout juste quelques taupinières sympathiques, des maisons de Hobbits pointant au milieu des méandres des rivières. Ce qui fait que je vois plus souvent les nuages par-dessous. Les dessous peuvent présenter un intérêt aussi.

Sous nos latitudes, il n’est pas rare qu’une couverture nuageuse conséquente persiste un certain temps. La persistance des ciels de plomb peut engendrer des troubles psychologiques, tout comme l’absence de soleil lors des longues nuits polaires.

Il est donc capital de bénéficier des bienfaits du soleil en s’élevant de trop rares fois au-dessus des mers de nuages. La langue et le mot ont ici leur importance, car la mer est le domaine des explorateurs, des rêveurs et de l’homme libre. Etre ainsi, au-dessus de la mer permet à l’esprit de naviguer, de se promener entre les têtes de nuages et de se rouler sur des matelas blancs. Je ne parle pas là de cirrus effilochés bien trop hauts ni de lenticulaires aux bords coupant.

Je vous suggère plutôt d’imaginer le mystère des paysages engloutis, des villages et forêt qui deviennent inaccessibles. Ys est peut-être devant vous. Sous la surface, un autre temps, des châteaux des chevaliers. J’ai vu des tours et des clochers percer les brumes matinales pour attirer les rayons de Phébus. Certes la poésie des grands espaces a ses couleurs particulières, ses dégradés tout en nuances et ses fondus lointains.

Quant à moi, je suis plutôt pragmatique malgré certaines apparences. Je veux dire par là que j’observe mon environnement. Donc je ne plonge pas dans le grand blanc où je ne vois rien, d’autant que le plus souvent, il n’est pas insondable, et j’aurais peur de toucher le fond. Un peu brutalement peut-être comme c’est le cas pour certains retours à la réalité.

Dans le monde de l’au-dessus, il faut se méfier du froid et du manque d’oxygène. Je mets de grosses mitaines ; c’est pour cela que je n’ai pas pu faire de photos et que ne me sens obligé de vous raconter.

Car vous pensez que le voyage est d’abord horizontal, qu’il s’agit de changer de latitude ou de longitude, d’aller vers l’est, vers l’ouest, ou vers le sud. Le nord est toujours trop froid. Mais Ne négligez pas la nomadisation verticale. Certains parlent de lévitation, mais c’est un autre sujet.

Au-dessus des cumulus, j’ai vu d’étranges créatures. Vous pourrez peut-être confirmer mes propos un de ces jours. J’ignore s’il s’agit de migrateurs, mais je les ai vu passer, la baleine ballon, le serpent nacelle, et l’aéronette mélodieuse, du plus grand au plus petit.

La baleine ballon a une élégance majestueuse. Il y a plusieurs sous-espèces de couleurs différentes : non, elles ne sont pas roses : parfois certains bleu-pale sont difficiles à distinguer sur les arrières plans pastels. Ce sont alors leurs panaches scintillants qui trahissent leur présence, suivis d’une longue ondulation de la nageoire qui les propulse lentement.

Le serpent nacelle évolue plus bas, se faufile pour ainsi dire entre les rebonds des nuages, son paquet d’osier sur le dos, parfois agrémenté d’un parasol sous lequel se cache son capitaine. Ceux qui sont tachetés peuvent à l’occasion mordre la cheville, mais pas méchamment. Ils laissent souvent, quelques instants, une trace luisante, comme la limace. C‘est un genre de poussière sèche en fait, qui aurait des propriétés particulières. On ne lui connaît pas de manifestation sonore.


Contrairement à l’aéronette mélodieuse, qui comme son nom l’indique, utilise sa gorge en accordéon pour émettre des trilles en certaines saisons. Elle se nourrit de petites baies qui font « ploc » quand elle les écrase dans son bec. Sa petite taille la rend difficile à observer et son mode de vie reste peu documenté, d’autant qu’elle disparaît dans le nuage à la moindre alerte : elle se méfie manifestement du serpent nacelle, même si son chant est envoûtant et déroutant pour le dit-animal qui se dresse alors sur sa queue, ce qui fait que la nacelle tombe si elle est mal arrimée, et que le serpent perd son identité, ce qui dans l’ensemble est regrettable pour l’ordre des choses. Comme quoi, ce ne sont pas toujours les plus gros qui créent des problèmes.

Je ne vous dis pas tout. Ce serait trop long. Il faudrait parler des Folleurs, une petite escadrille composée de plusieurs fols qui s’élancent du haut des pentes pour des voles erratiques se terminant par des bruits bizarres de métal froissé ou par quelque jurons significatifs.

Je vois que le printemps arrive. La couche se morcelle. Les trous de bleu s’agrandissent. Le sang coule à nouveau plus librement dans les veines jusqu’aux extrémités oubliées des pieds et des neurones fatigués. Je vais tenter de recharger mes batteries. J’étends mes bras en croix pour absorber les calories et les UVs. Vous m’avez déjà vu quelque part en photo.

Zorco Vado


Pascal Legrand

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