SECRET A TIROIR 2006-03-18 J'ai retrouvé ces photographies par hasard, dans le tiroir supérieur d'une commode. J'avais un peu oublié ce rangement car il est intégré dans la moulure supérieure du meuble. C'est un tiroir secret. J'avais du mettre ces photographies bien à l'abri car elles m'inquiétaient. J'avais étouffé dans l'instant le souvenir de cette rencontre car j'avais eu peur. Mais avec le temps, j'étais heureux de me plonger dans ce passé. J'étais rassuré de voir que je n'avais pas rêvé. J'étais donc sain d'esprit ; il était légitime d'être inquiet, légitime d'exprimer mon angoisse dans des sculptures que tous mes amis trouvaient étranges. Un visage enfoui dans la mémoire ou le coucher de soleil des jours heureux resurgissent sans problème dans votre vie quotidienne. Quant à moi, je ressentis un certain choc lors de l'ouverture du tiroir. Elle me sembla presque automatique, comme pour un parachute qui allait m'éviter de m'écraser. Ma main avait été guidée par la nécessité de redécouvrir la preuve que la vision qui traversait parfois mes pensées était bien enracinée dans le réel. Je pris la première photographie du bout des doigts. Elle était un peu floue, mais il n'y avait aucun doute. J'avais vu l'oiseau de feu, j'avais réussi à le saisir dans l'objectif. Je suis un piètre photographe. L'émotion excuse aussi l'imperfection du cliché. L'important est que l'oiseau soit bien là sur le papier. Il existe. Sur la première vue, ses ailes sont angulées vers l'arrière, favorisant la vitesse. Ses yeux noirs sont menaçants. Il se prépare à l'attaque. Il semble avoir déjà provoqué une explosion énorme sur son passage. Sur le deuxième cliché, il est comme un rapace en vol légèrement ralenti, les ailes un peu relevées en leur milieu pour donner incidence et portance. Il est beaucoup plus près. J'ai eu du mal à bien le cadrer dans ma panique. L'intensité de la chaleur déforme les contours. Les turbulences s'effilochent. La tête est perdue dans le corps. Il va bientôt déployer ses serres et m'enlever. Est-ce pour me tuer ou pour me sauver du cataclysme ? Si je suis encore vivant pour en parler, je suppose qu'il a dû m'épargner. On m'a dit que ce gendre d'expérience laisse des traces. Cela me paraît normal. On aurait des séquelles à moins. Mais je n'ai pas été brûlé. Même pendant la guerre lors des bombardements. J'ai vu le ciel enflammé par les alliés à Royan, ville détruite. Mais j'ai moi aussi, lorsque j'étais pilote, créé l'enfer en larguant mes bombes sur des agglomérations, avant d'être abattu par la DCA. Mes amis me disent que cet oiseau de malheur pourrait bien n'être que moi. Je me serais tiré le portrait sans m'en apercevoir ? Je ne crois pas que ce soit le cas. Je n'ai pas oublié la guerre ; pas de perte de connaissance lors de mon atterrissage forcé, ni de trou de mémoire. Suis-je alors un gribouilleur de papier sans imagination qui ne peut que perdre son regard sur le papier glacé sans que l'esprit arrive à en décoller ? Finalement, je vais les remettre dans le tiroir. Pascal Legrand Visiteurs : 269 Retour à l'accueil |